Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/601

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Je vous souhaite M. de Grignan ; je n’aime point que vous soyez seule dans ce château, pauvre petite Orithye ! mais Borée n’est point civil ni galant pour vous, c’est ce qui m’afflige. Adieu, ma très-chère ; respectez votre côté, respectez votre tête ; on ne sait où courir. Je comprends vos peines pour votre fils, je les sens, et par lui que j’aime, et par vous que j’aime encore plus ; cette inquiétude tire deux coups sur moi.

Corbinelli est toujours chez nous le meilleur du monde, et toujours abîmé dans sa philosophie christianisée ; car il ne lit que des livres saints.


287. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Pont-Audemer, lundi 2 mai 1689.

Je couchai hier à Rouen, d’où je vous écrivis un mot pour vous dire seulement que j’avais reçu deux de vos lettres avec bien de la tendresse. Je n’écoute plus tout ce qu’elle voudrait me faire sentir ; je me dissipe, je serais trop souvent hors de combat, c’est-à-dire hors de la société ; c’est assez que je la sente, je ne m’amuse point à l’examiner de si près. Il y a onze lieues de Rouen à Pont-Audemer ; nous y sommes venus coucher. J’ai vu le plus beau pays ; j’ai vu toutes les beautés et les tours de cette belle Seine pendant quatre ou cinq lieues, et les plus agréables pays du monde ; ses bords n’en doivent rien à ceux de la Loire ; ils sont gracieux, ils sont ornés de maisons, d’arbres, de petits saules, de petits canaux qu’on fait sortir de cette grande rivière : en vérité, cela est beau. Je ne connaissais point la Normandie, j’étais trop jeune quand je la vis ; hélas ! il n’y a peut-être plus personne de tous ceux que j’y voyais autrefois : cette pensée est triste. J’espère trouver à Caen, où nous serons mercredi, votre lettre du 21 et celle de M. de Chaulnes. Je n’avais point cessé de manger avec le chevalier avant que de partir ; le carême ne nous séparait point du tout ; j’étais ravie de causer avec lui de toutes vos affaires ; je sens infiniment cette privation ; il me semble que je suis dans un pays perdu, de ne plus traiter tous ces chapitres. Corbinelli ne voulait point de nous les soirs, sa philosophie allait se coucher ; je le voyais le matin, et souvent l’abbé Bigorre venait nous conter des nouvelles.

Je vous observerai pour votre retour, qui réglera le mien, je vis au jour la journée. Quand je partis, M. de Lamoignon était à Ra-