Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/602

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ville avec Coulanges. Madame du Lude, madame de Verneuil[1] et madame de Coulanges sortirent de leurs couvents pour venir me dire adieu ; tout cela se trouva chez moi avec madame de Vins, qui revenait de Savigny. Madame de Lavardin vint aussi avec la marquise d’Uxelles, madame de Mouci, mademoiselle de la Rochefoucauld et M. du Bois : j’avais le cœur assez triste de tous ces adieux. J’avais embrassé la veille madame de la Fayette, c’était le lendemain des fêtes, j’étais tout étonnée de m’en aller ; mais, ma chère belle, c’est proprement le printemps que j’allais voir arriver dans tous les lieux où j’ai passé ; il est d’une beauté, ce printemps, et d’une jeunesse, et d’une douceur que je vous souhaite à tout moment, au lieu de cette cruelle bise qui vous renverse, et qui me fait mourir quand j’y pense.

J’embrasse Pauline, et je la plains de ne point aimer à lire des histoires ; c’est un grand amusement : aime-t-elle au moins les Essais de morale et Abbadie[2], comme sa chère maman ? Madame de Chaumes vous fait mille amitiés ; elle a des soins de moi, en vérité, tropgrands. On ne peut voyager, ni dans un plus beau vert, ni plus agréablement, ni plus à la grande, ni plus librement. Adieu, ma très-chère belle ; en voilà assez pour le Pont-Audemer, je vous écrirai de Caen.


288. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Caen. jeudi 5 mai 1689.

Je me doutais bien que je recevrais ici cette lettre du 21 avril, que je n’avais point reçue à Rouen ; c’eût été dommage qu’elle eut été perdue ; bon Dieu ! de quel ton, de quel cœur (car les tons viennent du cœur), de quelle manière m’y parlez- vous de votre tendresse ? Il est vrai, ma chère comtesse, que l’affaire d’Avignon est très-consolante : si, comme vous dites, elle venait à des gens dans le courant de leurs revenus, quelle facilité cela donnerait pour venir à Paris ! Vos dépenses ont été extrêmes, et l’on ne fait que réparer ; mais aussi, comme je disais l’autre jour, c’est pour avoir vécu qu’on reçoit ces faveurs de la Providence : cependant, ma fille, cette même Providence vous redonnera peut-être d’une autre manière les moyens de venir à Paris : il faut voir ses desseins.

  1. Charlotte Séguier, fille puînée du chancelier, veuve en secondes noces du duc de Verneuil.
  2. Auteur d’un excellent Traité de la religion chrétienne.