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tion de la vôtre, et du meilleur état de M. le chevalier. Ma chère enfant, je vous embrasse, et vous dis adieu. Nous n’étions pas encore assez loin. Voyez Auray sur la carte.


293. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Auray, samedi 30 juillet 1689.

Regardez un peu où je suis, ma chère bonne ; me voilà sur la côte du midi, sur le bord de la mer. Où est le temps que nous étions dans ce petit cabinet à Paris, à deux pas l’une de l’autre ? Il faut espérer que nous nous y retrouverons. Cependant voici où la Providence me jette : je vous écrivis lundi de Rennes tout ce que je pensais sur ce voyage : nous en partîmes mardi : rien ne peut égaler les soins et l’amitié de madame de Chaulnes : son attention principale est que je n’aie aucune incommodité, elle vient voir elle-même comme jesuis logée. Et pour M. de Chaulnes, il est souvent à table auprès de moi, et je l’entends qui dit entre bas et haut : « Non, madame, cela ne lui fera point de mal, voyez comme elle se porte ; voilà un fort bon melon, ne croyez pas que notre Bretagne en soit dépourvue ; il fautqu’elle en mange une petite côte. » Etenfin, quand je lui demande ce qu’il marmotte, il se trouve que c’est qu’il vous répond, et qu’il vous a toujours présente pour la conservation de ma santé. Cette folie n’est point encore usée, et nous a fait rire deux outrois fois. Nous sommes venus en troisjours deRennes à Vannes, c’est six ou sept lieues par jour ; cela fait une facilité et une manière de voyager fort commode, trouvant toujours des dîners et des soupers tout prêts et très-bons ; nous trouvons partout les communautés, les compliments, et le tintamarre qui accompagnent vos grandeurs ; et de plus, des troupes, des officiers et des revues de régiments, qui font un air de guerre admirable. Le régiment de Kerman est fort beau : ce sont tous bas Bretons, grands et bien faits au-dessus des autres, qui n’entendent pas un mot de français, si ce n’est quand on leur fait faire l’exercice, qu’ils font d’aussi bonne grâce que s’ils dansaient des passe-pieds : c’est un plaisir de les voir. Je crois que c’était de ceux de cette espèce que Bertrand du Guesclin disait qu’il était invincible à la tête de ses Bretons. Nous sommes en carrosse, M. et madame de Chaulnes, M. de Revel et moi : un jour je fais épuisera Revel la Savoie, où il y a beaucoup à dire[1] ;

  1. Le comte de Revel était Piémontais.