Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/617

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sage, tant de choses manquent, et de l’air, et de la grâce, et de ce qui fait valoir la beauté, que cette ressemblance devient à rien. Si j’avais su qu’elle eût été femme de mon Gange que j’ai tant vu, il me semble que je l’aurais regardée tout d’une autre façon : mais cela est fait.

Parlons de votre madame de Montbrun ; bon Dieu ! avec quelle rapidité vous nous dépeignez cette femme ! Votre frère en est ravi, mais il ne vous le dira pas ; il vous embrasse seulement, il est avec son honnête homme d’ami ; et c’est moi qui vous remercie d’avoir pris la peine de tout quitter, pour venir impétueusement me redonner cette personne ; le plaisant caractère ! toute pleine de sa bonne maison qu’elle prend depuis le déluge, et dont on voit qu’elle est uniquement occupée : tous ses parents Guelphes et Gibelins, amis et ennemis, dont vous faites une page la plus folle et la plus plaisante du monde ; se* rêveries d’appeler le marquis d’Uxelles, les ennemis ; elle croit parler des Allemands ; et toutes ces couronnes dont elle s’entoure et s’enveloppe ; son étonriement à la vue de votre teint naturel ; elle vous trouve bien négligée de laisser voir la couleur des petites veines et de la chair qui composent le vrai teint : elle trouve bien plus honnête d’habiller son visage ; et parce que vous montrez celui que Dieu vous a donné, vous lui paraissez toute négligée et toute déshabillée. MM. de Grignan sont bien habiles d’avoir trouvé son teint naturel : voilà comme sont les hommes, ils ne savent, ni ce qu’ils voient, ni ce quils disent ; j’en ai vu qui admiraient des beautés bien peu admirables.

Vous avez fait un joli voyage au Saint-Esprit ; vous avez vu M. de Bâville[1], la terreur du Languedoc ; vous y avez vu encore M. de Broglio[2]. Je crois notre Revel le César, et Broglio le Laridon négligé[3]. Ils n’ont pas toujours été bien ensemble. M. le chevalier ne les a-t-il pas vus tous deux dans les chaînes de mademoiselle du Bouchet ? Broglio était un si furieux amant, qu’il fut une des raisons qui la jetèrent aux Carmélites.

  1. Nicolas de Lamoignon, frère du président, et connu sous le nom de Baville, remplaça, au mois de septembre 1685, M. d’Aguesseau dans l’intendance du Languedoc. Ce fut lui qui organisa ces étranges missions qui, du nom de leurs missionaires, furent appelées dragonades. Il remplit les fonctions d’intendant du Languedoc pendant trente-trois ans, sans revenir à Paris.
  2. Victor-Maurice, comte de Broglio, commandait en Languedoc. Il était frère de Charles-Amédée de Broglio, comte de Revel.
  3. Voyez la fable de l’Éducation, par la Fontaine, fable 24, livre viii.