Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/62

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tellement hors de ma mémoire et de mon esprit, que j’ai été près de deux ans sans y penser, et sans croire l’avoir. Quoi qu’il en soit, je le désavoue de tout mon cœur, et je vous supplie de croire, monsieur, que ma passion pour la personne et pour le service du roi n’en a pas été diminuée. M. le chancelier a dit : Il est bien difficile de le croire, quand on voit une pensée opiniâtre exprimée en différents temps. M. Fouquet a répondu : Monsieur, dans tous les temps, et même au péril de ma vie, je n’ai jamais abandonné la personne du roi ; et dans ce temps-là vous étiez, monsieur, le chef du conseil de ses ennemis, et vos proches donnaient passage à l’armée qui était contre lui.

M. le chancelier a senti ce coup ; mais notre pauvre ami était échauffé, et n’était pas tout à fait le maître de son émotion. Ensuite on lui a parlé de ses dépenses ; il a dit : Je m’offre à faire voir que je n’en ai fait aucune que je n’aie pu faire, soit par mes revenus, dont M. le cardinal avait connaissance, soit par mes appointements, soit par lebien de ma femme ; et si je ne prouve ce que je dis, je consens d’être traité aussi mal qu’on le peut imaginer. Enfin, cet interrogatoire a duré deux heures, où M. Fouquet a très-bien dit, mais avec chaleur et colère, parce que la lecture de ce projet l’avait extrêmement touché.

Quand il a été parti, M. le chancelier a dit : Voici la dernière fois que nous l’interrogerons. M. Poncet s’est approché de M. le chancelier, et lui a dit : Monsieur, vous ne lui avez pas parlé des preuves qu’il y a comme il a commencé à exécuter le projet. M. le chancelier a répondu : Monsieur, elles ne sont pas assez fortes, il y aurait répondu trop facilement. Là-dessus Sainte-Hélène et Pussort ont dit : Tout le monde n’est pas de ce sentiment. Voilà de quoi rêver et faire des réflexions'. À demain le reste.

Vendredi 5 décembre.

On a parlé ce matin des requêtes, qui sont de peu d’importance, sinon autant que les gens de bien y voudront avoir égard en jugement. Voilà qui est donc fait : c’est à M. d’Ormesson à parler, il doit récapituler toute l’affaire : cela durera encore toute lu semaine prochaine, c’est-à-dire qu’entre-ci et là ce n’est pas vivre, que la vie que nous passerons. Pour moi, je ne suis pas reconnaissable, et je ne crois pas que je puisse aller jusque-là. M. d’Ormesson m’a priée de ne le plus voir que l’affaire ne soit jugée ; il est dans le con-