Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/622

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la fièvre ? Vous pouvez donc vous applaudir du régime du riz, qui est si adoucissant, et qui peut avoir fait tous ces miracles. Je n’ai garde de m’éloigner de Grignan, pendant que vous avez la joie de voir vos Grignans en si bonne santé ; j’y prends trop de part. Je ne veux pas même aller à Paris, de peur de me distraire : c’est une chose plaisante que la manière dont madame de Lavardin m’en presse, et m’en facilite tous les moyens, et de quels tons madame de Chaulnes se sert aussi ; il semble qu’elle soit gouvernante de Bretagne ; mais je lui ferai bien voir que c’est à présent la maréchale d’Estrées[1], et que je ne suis plus sous ses lois. En vérité, elles sont aimables ; je ne crois pas qu’on puisse employer des paroles plus fortes, ni plus pressantes, ni trouver de plus solides expédients ; et le tout, parce qu’elles craignent que je ne m’ennuie, que je ne sois malade, que mon esprit ne se rétrécisse, que je ne meure enfin ; elles veulent me voir, me gouverner : M. du Bois s’en mêle aussi : cette conspiration est trop jolie ; je l’aime et je leur en suis très-obligée, sans en être émue. Je veux vous garder leurs lettres ; vous verrez si l’amitié et la vérité n’y brillent pas.

On me mande que c’est M. de Coëtlogon qui aura la députation[2] ; je n’en ai pas douté, et je crois que M. de Chaulnes n’en doutait pas non plus. Il avait bon esprit, il voyait le retour du parlement, le présent de la ville de Rennes, la part que M. de Coëtlogon paraissait avoir à tout cela, comme gouverneur de cette ville, où l’on tient les états : tout parle pour lui ; il fait une dépense enragée : c’est un bonheur que le voyage de Rome brouille et confonde tout cela : je doute que ce bon duc en corps et en âme eût pu l’emporter ; ainsi Dieu fait tout pour le mieux. Mais quand j’ai accusé M. de Chaulnes de négligence, je n’étais pas moins pour lui dans les pièces justificatives. Quoi, ma fille ! vous toute cartésienne, toute raisonnable, toute juste dans vos pensées, je vous attraperais à juger qu’il a tort sur un sujet où il a raison, parce qu’il aurait manqué d’activité dans une autre occasion ! et cet endroit vous empêcherait de voir les autres ! Voilà une étrange justice ! vous seriez bien fâchée que la quatrième des enquêtes eût jugé ainsi votre procès : moi misérable, je me trouvai toute telle à cet égard que

  1. Le maréchal d’Estrées commandait en Bretagne en l’absence de M. de Chaulnes.
  2. M. de Chaulnes avait promis de faire avoir cette députation à M. de Sévigné, et ne l’avait pas fait.