Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/623

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si nous avions eu la députation. Je sentis pourtant cet endroit en l’écrivant : mais je crus qu’il trouverait son passeport auprès de vous, et que vous vous souviendriez d’une chose que je dis souvent : ce qui est bon, est bon ; ce qui est vrai, est vrai^ cela doit être toujours vu de la même façon : s’il y a des facettes sur d’autres sujets, il ne faut point les mêler, non plus que de certaines eaux dans certaines rivières. Je crus encore que vous vous souviendriez que l’ingratitude est ma bête d’aversion ; de bonne foi, je ne la puis souffrir, et je la poursuis en quelque lieu que je la trouve : mais je vois bien que vous avez oublié tout cela, puisque vous avez cru voir quelque chose de forcé dans ce que je vous disais : je le sentis, mais sauvez-moi du moins de la pensée que j’aie voulu me parer de cette sotte générosité de province ; je serais fâchée que vous me crussiez si changée : je trouvai ce beau sentiment si naturellement au bout de ma plume, que je vous en reparle fort naïvement, et je vous conjure qu’avec la même justice vous soyez persuadée que si la lenteur et la négligence ont paru dans cette dernière occasion, les justificatives n’en sont pas moins vraies, ni les ingrats moins ingrats ; en vérité, cela ne se doit point confondre, et même vous voyez présentement que ces bous gouverneurs n’ont pas tort.

Je ne suis point encore revenue de mon étonnement au sujet de l’esprit de M. de Chaulnes, et du changement que vous me dites y avoir remarqué : en vérité, je ne le reconnais pas ; il était tout un autre homme dans notre petit voyage ; c’était votre génie qui le ressuscitait, votre présence était trop forte, jointe avec les affaires de Rome ; il en était accablé. Il y a un cardinal vénitien, nommé Barbarigo y évêque de Padoue, qui avait plus de voix qu’il ne lui en fallait au scrutin pour être pape ; mais l’accessit[1] gâta tout ; je ne sais ce que c’est, je vois bien seulement que c’est quelque chose qui empêche qu’on ne soit pape : cependant il n’y en aura un que trop tôt ; je me promène souvent avec cette triste pensée.

J’aime tout à fait les louanges naturelles de Coulanges pour Pauline ; elles lui conviennent fort, et m’ont fait comprendre sa sorte d’agrément, bridé pourtant par des gens qui ont un peu mis leur nez[2] mal à propos : si ce comte avait voulu ne donner que

  1. L’arrivée des cardinaux français, savoir : les cardinaux de Bouillon, de Bonzi, et de Furstemberg ; le cardinal d’Estrées était déjà dans le conclave.
  2. Le nez de Pauline ressemblait d’abord à celui de madame de Sévigné, et plus tard à celui de M. de Grignan.