Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/624

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ses yeux et sa belle taille, et vous laisser le soin de tout le reste, Pauline aurait brûlé le monde[1]. Cet excès eût été embarrassant : ce joli mélange est mille fois mieux, et fait assurément une aimable créature. Sa vivacité ressemble à la vôtre ; votre esprit dérobait tout y comme vous dites du sien ; voilà une louange que j’aime. Elle saura l’italien dans un moment, avec une maîtresse meilleure que n’était la vôtre. Vous méritiez bien une aussi parfaitement aimable fille que celle que j’avais : je vous avais bien dit que vous feriez de la vôtre tout ce que vous voudriez, par la seule envie qu’elle a de vous plaire ; elle me paraît fort digne de votre amitié. Me revoilà seule ; mon fils et sa femme sont encore à Rennes ; ma femme de Vitré s’en est allée ; je suis fort bien, ne me plaignez pas. Mon fils attend M. de la Trémouille, qui vient incessamment. Il est avec ce maréchal (d’Estrées), comme avec un homme dont il est connu ; il joue tous les soirs au trictrac avec lui. Tout brille de joie à Rennes, du retour du parlement, qui sera le premier de décembre ; les états s’ouvriront le 22 de ce mois ; le maréchal a des manières agréables et polies ; les Bretons en sont fort contents ; on aime le changement : voilà, ma très-chère, tout ce que je sais. Ne soyez point en peine de ma solitude, je ne la hais pas ; ma belle-fille reviendra incessamment. J’ai soin de ma santé ; je ne voudrais point être malade icirquand il fait beau, je me promène ; quand il fait mouillé, quand il fait brouillard, je ne sors point ; je suis devenue sage ; mais vous, la reine et la cause efficiente de la santé des autres, ayez soin de la vôtre, reposez -vous de vos fatigues, et songez que votre conservation est encore un plus grand bien pour eux que celui que vous leur avez fait.


298. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRTGNAN.

Aux Rochers, mercredi 30 novembre 1689.

Vous avez donc été frappée du mot de madame de la Fayette, mêlé avec tant d’amitié[2]. Quoique je ne me laisse pas oublier cette vérité, j’avoue que j’en fus tout étonnée ; car je ne me sens encore aucune décadence qui m’en fasse souvenir. Je ne laisse pas cependant défaire souvent des réflexions et des supputations, et je trouve

  1. Mot de Tréville sur madame de Grignan.
  2. Madame de la Fayette écrivait à madame de Sévigné, le 8 octobre précédent : « Vous êtes vieille, vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste, et baissera, etc. »