Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/629

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et Y Histoire de l’Église ; c’est marier le luth à la voix. Vous n’aimez point ces gageures : je ne sais comme nous pûmes vous captiver un hiver ici. Vous voltigez, vous n’aimez point l’histoire, et on n’a de plaisir que quand on s’affectionne à une lecture, et que l’on en fait son affaire. Quelquefois, pour nous divertir, nous lisons les petites Lettres (de Pascal) : bon Dieu, quel charme ! et comme mon fils les lit ! je songe toujours à ma fille, et combien cet excès de justesse et de raisonnement serait digne d’elle ; mais votre frère dit que vous trouvez que c’est toujours la même chose. Ah, mon Dieu ! tant mieux ; peut-on avoir un style plus parfait, une raillerie plus fine, plus naturelle, plus délicate, plus digne fille de ces dialogues de Platon, qui sont si beaux ? Et lorsqu’après les dix premières lettres il s’adresse aux révérends (jésuites), quel sérieux ! quelle solidité ! quelle force ! quelle éloquence ! quel amour pour Dieu et pour la vérité ! quelle manière de la soutenir et de la faire entendre ! c’est tout cela qu’on trouve dans les huit dernières lettres, qui sont sur un ton tout différent. Je suis assurée que vous ne les avez jamais lues qu’en courant, grapillant les endroits plaisants : mais ce n’est point cela, quand on les lit à loisir. Adieu, ma très-aimable ; mandez-moi si le marquis n’aura pas un bon quartier d’hiver ; c’est une consolation. Je crois que M. le chevalier n’abandonne pas tout à fait son régiment, et que M. de Montégut donne des conseils salutaires au jeune colonel.


301. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 8 janvier 1690.

C’est entre vos mains, ma chère belle, que mes lettres deviennent de l’or : quand elles sortent des miennes, je les trouve si grosses et si pleines de paroles, que je dis : Ma fille n’aura pas le temps de lire tout cela. Mais vous ne me rassurez que trop, et je ne pense pas que je doive croire en conscience tout ce que vous m’en dites. Enfin prenez-y garde ; de telles louanges et de telles approbations sont dangereuses ; je ne vous cacherai pas, au moins, que je les aime mieux que celles de tout le reste du monde. Mais raccommodons-nous, il me semble que nous sommes un peu brouillées ; j’ai dit que vous aviez lu superficiellement lespetites lettres, je m’en repens : elles sont belles, et trop dignes de vous, pour avoir douté que vous ne leseussiez toutes lues avec application. Vous m’offensez aussi en croyant que je n’ai point lu les imaginaires ; c’est moi qui