Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/630

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vous les prêtai : ah ! qu’elles sont jolies et justes ! je les ai lues et relues. Sur ces offenses mutuelles, nous pouvons nous embrasser ; je ne vois rien qui nous empêche de nous aimer ; n’est-ce pas l’avis de M. le chevalier, puisqu’il est notre confident ? je suis, en vérité, ravie de sa meilleure santé ; ce sentiment est [rien plus fort que mes paroles. Mais revenons à la lecture ; nous en faisons ici un grand usage : mon fils a une qualité très-commode, c’est qu’il est fort aise de relire deux fois, trois fois, ce qu’il a trouvé beau ; il le goûte, il y entre davantage, il le sait par cœur, cela s’incorpore ; il croit avoir fait ce qu’il lit ainsi pour la troisième fois. Il lit Abbadie avec transport, et admirant son esprit d’avoir fait une si belle chose : dès que nous voyons un raisonnement bien conduit, bien conclu, bien juste, nous croyons vous le dérober de le lire sans vous. Ah ! que cet endroit charmerait ma sœur, charmerait mafillel Nous mêlons ainsi votre souvenir à tout ce qu’il y a de meilleur, et il en augmente le prix. Je vous plains de ne point aimer les histoires ; M. le chevalier les aime, et c’est un grand asile contre l’ennui ; il y en a de si belles, on est si aise de se transporter un peu en d’autres siècles ! cette diversité donne des connaissances et des lumières : c’est ce retranchement délivres qui vous jette dans les Oraisons du père Coton, et dans la disette de ne savoir plus que lire. Je voudrais que vous n’eussiez pas donné le dégoût de l’histoire à votre fils ; c’est une chose très-nécessaire à un petit homme de sa profession. Il m’a écrit de Kaysersloutre ; mon Dieu, quel nom ! Il ne me paraît pas encore assuré de venir à Paris ; il me dit mille amitiés fort jolies, fort bien tournées ; il me remercie des nouvelles que je lui mandais, il me conte tous les petits malheurs de son équipage. J’aime passionnément ce petit colonel.


302. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 11 janvier 1690.

Quelles étrennes, bon Dieu ! quels souhaits ! en fut-il jamais de plus propres à me charmer, moi qui en connais les tons, et qui vois le cœur dont ils partent ? Je m’en vais vous dire un sentiment que je trouve en moi ; s’il pouvait payer le vôtre, j’en serais fort aise, car je n’ai pas d’autre monnaie : au lieu de ces craintes si aimables que vous donnent toutes ces morts qui volent sans cesse autour de vous, et qui vous font penser à d autres, je vous présente la véritable consolation et même la joie que me donne souvent Ta-