Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/631

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vance d’années que j’ai sur vous : vous savez que je ne suis pas insensible à la tristesse de ces états ; mais je le suis encore moins à la pensée que les premiers vont devant, et que vraisemblablement et naturellement je garderai mon rang avec ma chère fille ; je ne puis vous représentera véritable douceur de cette confiance. Que n’ai-je point souffert aussi dans les temps où votre mauvaise santé me faisait craindre un dérangement ? Ce temps a été rigoureux : ah ! n’en parlons point, ne paillons point de cela ; vous vous portez bien, Dieu merci ! toutes choses ont repris leur place naturelle, Dieu vous conserve ! Je pense que vous entendez mon ton aussi, et que vous me connaissez.

Je viens à M. le chevalier : je n’ai point de peine à croire que le climat de Provence lui soit meilleur l’hiver que celui de Paris. Tous ceux qui, comme des hirondelles, s’en vont chercher votre soleil, en sont de bons témoins. Mais, en me réjouissant de ce qu’il sent cette différence, je m’afflige qu’il ait perdu mille écus de rente, et par où ? et comment ? son régiment lui valait-il cela ? il le vendra donc au marquis[1] ? mais l’argent qu’il en recevra, en lui payant des dettes, ne diminuera-t-il pas aussi des intérêts ? Faites-moi ce calcul, qui m’inquiète : je ne saurais me représenter M. le chevalier de Grignan à Paris, sans son petit équipage si honnête, si bien troussé ; je ne le verrai point à pied, ni mendier des places pour Versailles ; cela ne peut point entrer dans ma tête : cet article est interloqué ; ah ! que ce mot de chicane est joliment placé ! Je ne m’en tiens pas non plus à vos soixante-quatre personnes sans les gardes : vous me trompez : ce n’est pas là votre dernier mot ; il me faut une démonstration de mathématiques.

Pour Pauline, je crois que vous ne balancez pas entre le parti d’en faire quelque chose de bon ou quelque chose de mauvais. La supériorité de votre esprit vous fera suivre facilement la bonne route : tout vous convie d’en faire votre devoir, et l’honneur, et la conscience, et le pouvoir que vous avez en main. Quand je pen« comme elle s’est corrigée en peu de temps pour plaire, comme elle est devenue jolie, cela vous rendra coupable de tout le bien qu’elle ne fera pas. Pour vos lectures, ma chère enfant, vous avez trop à parler, à raisonner, pour trouver le temps de lire : nous sommes ici dans un trop grand repos, et nous en profitons. Je relis

  1. M. le chevalier de Grignan, devenu maréchal de camp en 1688, ne put pas conserver son régiment, et le roi en fit don au jeune marquis de Grignan.