Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/649

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si joliment chantés ; ils doivent redoubler leurs chants, en apprenant de vous le bonheur qu’ils auront de voir plus souvent les maîtres de ce beau séjour. J’ai suivi tous les sentiments de ces gouverneurs ; je n’en ai trouvé aucun qui n’ait été en sa place, et qui ne soit venu de la raison et de la générosité la plus parfaite. Ils ont senti les vives douleurs de toute une province qu’ils ont gouvernée et comblée de biens depuis vingt-six ans ; ils ont obéi cependant d’une manière très-noble ; ils ont eu besoin de leur courage pour vaincre la force de l’habitude, qui les avait comme unis à cette Bretagne : présentement ils ont d’autres pensées ; ils entrent dans le goût de jouir tranquillement de leurs grandeurs ; je ne trouve rien que d’admirable dans toute cette conduite ; je l’ai suivie et sentie avec l’intérêt et l’attention d’une personne qui les aime, et qui les honore du fond du cœur. J’ai mandé à notre duchesse comme M. de Grignan est à Marseille, et dans cette province sans aucune sorte de dégoûts ; au contraire, il paraît, par les ordres du maréchal de ïourville, qu’on l’a ménagé en tout ; ce maréchal lui demandera des troupes quand il en aura besoin ; et M. de Grignan, comme lieutenant général des armées, commandera les troupes de la marine sous ce maréchal. Voilà de quoi il est question ; on veut agir, quoi qu’il en coûte. Je plains bien mon fils de n’avoir plus la douceur de faire sa cour à nos anciens gouverneurs ; il sent cette perte, comme il le doit. Je suis en peine de madame de Coulanges, je m’en vais lui écrire. Recevez les amitiés de tout ce qui est ici, et venez que je vous baise des deux.côtés.


312. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU PBESIDENT DE MOULCEAU.

À Grignan, ce 5 juin 1695.

J’ai dessein, monsieur, de vous faire un procès : voici comme je m’y prends. Je veux que vous le jugiez vous-même. Il y a plus d’un an que je suis ici avec ma fille, pour qui je n’ai pas changé de goût. Depuis ce temps vous avez entendu parler, sans doute, du mariage du marquis de Grignan avec mademoiselle de Saint-Amand. Vous l’avez vue assez souvent à Montpellier pour connaître sa personne ; vous avez aussi entendu parler des grands biens de monsieur son père ; vous n’avez point ignoré que ce mariage s’est fait avec un assez grand bruit dans ce château que vous connaissez. Je suppose que vous n’avez point oublié ce temps où commença la véritable es : tiine que nous avons toujours conservée pour vous. Sur cela je me 5i.