Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/648

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chose. M. de Griguan est revenu à Marseille ; c’est signe que nous l’aurons bientôt. La flotte qui est vers Barcelone fait mine de prendre bientôt le parti que la saison lui conseille. Tout ce qui est ici vous aime et vous embrasse chacun au prorata de ce qui lui convient, et moi plus que tous. M. de Carcassonne est charmé de vos lettres.


311. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE COUIANGES.

À Grignau, le 26 avril 1695.

Quand vous m’écrivez, mon aimable cousin, j’en ai une joie sensible ; vos lettres sont agréables comme vous ; on les lit avec un plaisir qui se répand partout ; on aime à vous entendre, on vous approuve, on vous admire, chacun selon le degré de chaleur qu’il a pour vous. Quand vous ne m’écrivez pas, je ne gronde point, je ne boude point ; je dis, Mon cousin est dans quelque palais enchanté ; mon cousin n’est point à lui ; on aura sans doute enlevé mon pauvre cousin ; et j’attends avec patience le retour de votre souvenir, sans jamais douter de votre amitié ; car le moyen que vous ne m’aimiez pas ? c’est la première chose que vous avez faite quand vous avez commencé d’ouvrir les yeux ; et c’est moi aussi qui ai commencé la mode de vous aimer et de vous trouver aimable ; une amitié si bien conditionnée ne craint point les injures du temps. Il nous parait que ce temps, qui fait tant de mal en passant sur la tête des autres, ne vous en fait aucun ; vous ne connaissez plus rien à votre baptistaire ; vous êtes persuadé qu’on a fait une très-grosse erreur à la date de l’année ; le chevalier de Grignan dit qu’on a mis sur le sien tout ce qu’on a ôté du vôtre, et il a raison ; c’est ainsi qu’il faut compter son âge. Pour moi, que rien n’avertit encore du nombre de mes années, je suis quelquefois surprise de ma santé ; je suis guérie de mille petites incommodités que j’avais autrefois ; non-seulement j’avance doucement comme une tortue, mais je suis prête à croire que je vais comme une écrevisse[1] : cependant je fais des efforts pour n’être point la dupe de ces trompeuses apparences, et dans quelques années je vous conseillerai d’en faire autant.

Vous êtes à Chaulnes, mon cher cousin, c’est un lieu très-enchanté, dont M. et madame de Chaulnes vont prendre possession ; vous allez retrouver les enfants de ces petits rossignols que vous avez

  1. Moins d’un an après, elle n’existait plus.