Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/67

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il opina, sans s’appuyer sur rien, que M. Fouquet aurait la tête tranchée, à cause du crime d’État. Et pour attirer plus de monde à lui, et faire un trait de Normand, il dit qu’il fallait croire que le roi donnerait grâce et pardonnerait ; que c’était lui seul qui le pourrait faire. Ce fut hier qu’il fit cette belle action, dont tout le monde fut touché, autant qu’on avait été aise de l’avis de M. d’Ormesson.

Ce matin, Pussort a parlé quatre heures, mais avec tant de véhémence, tant de chaleur, tant d’emportement, tant de rage, que plusieurs juges en furent scandalisés ; et on croit que cette furie peut faire plus de bien que de mal à notre pauvre ami. Il a redoublé de force sur la fin de son avis, et a dit, sur ce crime d’État, qu’un certain Espagnol nous devait faire bien de la honte, qui avait eu tant d’horreur d’un rebelle, qu’il avait brûlé sa maison, parce que Charles de Bourbon [1] y avait passé ; qu’à plus forte raison nous devions avoir en abomination le crime de M. Fouquet ; que, pour le punir, il n’y avait que la corde et les gibets ; mais qu’à cause des charges qu’il avait possédées, et qu’il avait plusieurs parents considérables, il se relâchait à prendre l’avis de M. de Sainte-Hélène.

Que dites-vous de cette modération ? C’est à cause qu’il est oncle de M. Colbert et qu’il a été récusé, qu’il a voulu en user si honnêtement. Pour moi, je saute aux nues quand je pense à cette infamie. Je ne sais si on jugera demain, ou si l’on traînera l’affaire toute la semaine. Nous avons encore de grandes salves à essuyer ; mais peut-être que quelqu’un reprendra l’avis de ce pauvre M. d’Ormesson, qui jusqu’ici a été si mal suivi. Mais écoutez, je vous prie, trois ou quatre petites choses qui sont très-véritables, et qui sont assez extraordinaires. Premièrement, il y a une comète qui paraît depuis quatre jours : au commencement, elle n’a été annoncée que par des femmes, on s’en est moqué ; mais à présent tout le monde l’a vue. M. d’Artagnan veilla la nuit passée, et la vit fort à son aise. M. de Neuré, grand astrologue, dit qu’elle est d’une grandeur considérable. J’ai vu M. du Foin, qui l’a vue avec trois ou quatre savants. Moi, qui vous parle, je fais veiller cette nuit pour la voir aussi : elle paraît sur les trois heures ; je vous en avertis, vous pouvez en avoir le plaisir ou le déplaisir.

Berrier est devenu fou, mais au pied de la lettre ; c’est-à-dire

  1. Le connétable de Bourbon, qui, sous François Ier, alla servir Charles-Quint contre la France.