Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/68

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qu’après avoir été saigné excessivement, il ne laisse pas d’être en fureur ; il parle de potences, de roues ; il choisit des arbres exprès ; il dit qu’on le veut pendre, et fait un bruit si épouvantable, qu’il le faut tenir et lier. Voilà une punition de Dieu assez visible et assez à point nommé. Il y a eu un nommé Lamothe qui a dit, sur le point de recevoir son arrêt, que MM. de Bezemaux, gouverneur de la Bastille, et Chamillart (on y met Poncet, mais je n’en suis pas si assurée) l’avaient pressé plusieurs fois de parler contre M. Fouquet et contre de Lorme ; que moyennant cela ils le feraient sauver, et qu’il ne l’a pas voulu, et le déclare avant que d’être jugé. Il a été condamné aux galères. Mesdames Fouquet ont obtenu une copie de cette déposition, qu’elles présenteront demain à la chambre. Peut-être qu’on ne la recevra pas, parce que l’on est aux opinions ; mais elles peuvent le dire ; et comme ce bruit est répandu, il doit faire un grand effet dans l’esprit des juges. N’est-il pas vrai que tout ceci est bien extraordinaire ?

Il faut que je vous raconte encore une action héroïque de Masnau : il était malade à mourir, il y a huit jours, d’une colique néphrétique ; il prit plusieurs remèdes, et se fit saigner à minuit. Le lendemain, à sept heures, il se fit traîner à la chambre de justice ; il y souffrit des douleurs inconcevables. M. le chancelier le vit pâlir ; il lui dit : Monsieur, vous n’en pouvez plus, retirez-vous. Il lui répondit : Monsieur, il est vrai ; mais il faut mourir ici. ftf. le chancelier, le voyant quasi s’évanouir, lui dit, le voyant s’opiniâtrer : Hé bien, monsieur, nous vous attendrons. Sur cela il sortit un quart d’heure ; et dans ce temps il fit deux pierres d’une grosseur si considérable, qu’en vérité cela pourrait passer pour un miracle, si les hommes étaient dignes que Dieu en voulût faire. Ce bon homme rentra gai et gaillard, et chacun fut surpris de cette aventure.

Voilà tout ce que je sais. Tout le monde s’intéresse dans cette grande affaire. On ne parle d’autre chose ; on raisonne, on tire des conséquences, on compte sur ses doigts, on s’attendrit, on craint, on souhaite, on hait, on admire, on est triste, on est accablé ; enfin, mon pauvre monsieur, c’est une chose extraordinaire que l’état où l’on est présentement ; mais c’est une chose divine que la résignation et la fermeté de notre cher malheureux. Il sait tous les jours ce qui se passe, et tous les jours il faudrait faire des volumes à sa louange. Je vous conjure de bien remercier monsieur votre père[1] de l’aimable billet qu’il m’a écrit, et des belles choses qu’il m’a en

  1. Arnauld d’Andilly, traducteur de l’historien Josèphe.