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14. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSYBABUTIN.

Paris, ce 26 juillet 1668.

Je veux commencer à répondre en deux mots à votre lettre, et puis notre procès sera fini.

Vous m’attaquez doucement, monsieur le comte, et me reprochez finement que je ne fais pas grand cas des malheureux, mais qu’en récompense je battrai des mains pour votre retour ; en un mot, que je hurle avec les loups, et que je suis d’assez bonne compagnie pour ne pas dédire ceux qui blâment les absents.

Je vois bien que vous êtes mal instruit des nouvelles de ce pays-ci, mon cousin ; apprenez donc de moi que ce n’est pas la mode de m’accuser de faiblesse pour mes amis. J’en ai beaucoup d’autres, comme dit madame de Bouillon[1], mais je n’ai pas celle-là ; cette pensée n’est que dans votre tête, et j’ai fait mes preuves ici de générosité sur le sujet des disgraciés[2], qui m’ont mise en honneur dans beaucoup de bons lieux, que je vous dirais bien si je voulais : je ne crois donc pas mériter ce reproche, et il faut que vous rayiez cet article sur le mémoire de mes défauts. Mais venons à vous.

Nous sommes proches, et de même sang ; nous nous plaisons, nous nous aimons, nous prenons intérêt dans nos fortunes. Vous me parlez de vous avancer de l’argent sur les dix mille écus que vous aurez à toucher dans la succession de M. de Châlons[3] ; vous dites que je vous l’ai refusé, et moi je dis que je vous l’ai prêté ; car vous savez fort bien, et notre ami Corbinelli en est témoin, que mon cœur le voulut d’abord, et que lorsque nous cherchions quelques formalités pour avoir le consentement de Neuchèse [4], afin d’entrer en votre place pour être payé, l’impatience vous prit ; et, m’ étant trouvée par malheur assez imparfaite de corps et d’esprit pour vous donner sujet de faire un fort joli portrait de moi, vous le fîtes, et vous préférâtes à notre ancienne amitié, à notre nom et à la justice même, le plaisir d’être loué de votre ouvrage ; vous savez qu’une

  1. Marie-Anne Mancini, femme de Godefroi-Maurice de la Tour, duc de Bouillon.
  2. Le cardinal de Retz, Pellisson, Pomponne et autres.
  3. Jacques de Neuchèse, évêque de Châlons, grand oncle de madame de Sévigné.
  4. L’héritier de l’évêque de Châlons.