Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/75

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dame de vos amies[1] vous obligea généreusement de le brûler ; elle crut que vous l’aviez fait, je le crus aussi ; et quelque temps après, ayant su que vous aviez fait des merveilles sur le sujet de M. Fouquet et le mien, cette conduite acheva de me faire revenir ; je me raccommodai avec vous à mon retour de Bretagne ; mais avec quelle sincérité ? Vous le savez. Vous savez encore notre voyage de Bourgogne, et avec quelle franchise je vous redonnai toute la part que vous aviez jamais eue dans mon amitié ; je revins entêtée de votre société. Il y eut des gens qui me direntence temps-là : « J’ai vu votre portrait entre les mains de madame de la Baume, je l’ai vu. » Je ne répondis que par un sourire dédaigneux, ayant pitié de ceux qui s’amusaient à croire à leurs yeux. « Je l’ai vu », me dit-on encore au bout de huit jours ; et moi, de sourire encore. Je le dis en riant à Corbinelli ; il reprit le même souris moqueur qui m’avait déjà servi en deux occasions, et je demeurai cinq à six mois de cette sorte, faisant pitié à ceux dont je m’étais moquée. Enfin le jour malheureux arriva où je vis moi-même, et de mes propres yeux bigarrés[2], ce que je navais pas voulu croire. Si les cornes me fussent venues à la tête, j’aurais été bien moins étonnée. Je le lus et je le relus, ce cruel portrait ; je l’aurais trouvé très-joli, s’il eût été d’une autre que de moi et d’un autre que de vous ; je le trouvai même si bien enchâssé et tenant si bien sa place dans le livre, que je n’eus pas la consolation de me pouvoir flatter qu’il fût d’un autre que de vous. Je le reconnus à plusieurs choses que j’en avais ouï dire, plutôt qu’à la peinture de mes sentiments, que je méconnus entièrement. Enfin je vous vis au Palais-Royal, où je vous dis que ce livre courait. Vous voulûtes me conter qu’il fallait qu’on eût fait ce portrait de mémoire, et qu’on l’avait mis là : je ne vous crus point du tout. Je me ressouvins alors des avis qu’on m’avait’donnés, et dont je m’étais moquée. Je trouvai que la place où était ce portrait était si juste, que l’amour[3] paternelle vous avait empêché de vouloir défigurer cet ouvrage en l’ôtant d’un lieu où il

  1. Madame de Monglas.
  2. Madame de Sévigné fait ici allusion à ce passage des Amours des Gaules ; « Madame de Sévigné est inégale jusques aux prunelles deg yeux et jusques aux paupières ; elle a les yeux de différentes couleurs ; et les yeux étant les miroirs de l’âme, ces inégalités sont comme un avis que donne la nature, à ceux qui l’approchent, de ne pas faire un grand fondement sur son amitié. »
  3. Ce mot s’employait alors au féminin.