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LETTRES

de la Troche[1] à l’Arsenal. Le soir, je reçus votre lettre, qui me remit dans les premiers transports ; et ce soir j’achèverai celle-ci chez M. de Coulanges, où j’apprendrai des nouvelles : car, pour moi, voilà ce que je sais, avec les douleurs de tous ceux que vous avez laissés ici ; toute ma lettre serait pleine de compliments, si je voulais.


25. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 9 février 1671.

Je reçois vos lettres, comme vous avez reçu ma bague ; je fonds en larmes en les lisant ; il semble que mon cœur veuille se fendre par la moitié : on croirait que vous m’écrivez des injures ou que vous êtes malade, ou qu’il vous est arrivé quelque accident, et c’est tout le contraire ; vous m’aimez, ma chère enfant, et vous me le dites d’une manière que je ne puis soutenir sans des pleurs en abondance. Vous continuez votre voyage sans aucune aventure fâcheuse ; et lorsque j’apprends tout cela, qui est justement tout ce qui me peut être le plus agréable, voilà l’état où je suis. Vous vous amusez donc à penser à moi, vous en parlez, et vous aimez mieux m’écrire vos sentiments que vous n’aimez à me le dire ; de quelque façon qu’ils me viennent, ils sont reçus avec une sensibilité qui n’est comprise que de ceux qui savent aimer comme je fais. Vous me faites sentir pour vous tout ce qu’il est possible de sentir de tendresse ; mais si vous songez à moi, soyez assurée aussi que je pense continuellement à vous : c’est ce que les dévots appellent une pensée habituelle, c’est ce qu’il faudrait avoir pour Dieu, si l’on faisait son devoir : rien ne me donne de distraction ; je vois ce carrosse qui avance toujours, et qui n’approchera jamais de moi : je suis toujours dans les grands chemins, il me semble que j’ai quelquefois peur que ce carrosse ne verse ; les pluies qu’il fait depuis trois jours me mettent au désespoir ; le Rhône me fait une peur étrange. J’ai une carte devant mes yeux ; je sais tous les lieux où vous touchez : vous êtes ce soir à Nevers ; vous serez dimanche à Lyon, où vous recevrez cette lettre. Je n’ai pu vous écrire qu’à Moulins par madame de Guénégaud. Je n’ai reçu que deux de vos lettres : peut-être que la troisième viendra ; c’est la seule consolation que je souhaite, pour.d’autres, je n’en cherche pas. Je suis entièrement incapable

  1. Marie Godde de Varennes, veuve du marquis de la Troche, conseiller au parlement de Rennes.