Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/89

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de voir beaucoup de monde ensemble ; cela viendra peut-être, mais il n’en est pas question encore. Les duchesses de Verneuil et d’Arpajon[1] me veulent réjouir ; je les en ai remerciées : je n’ai jamais vu de si belles âmes qu’il y en a dans ce pays-ci. Je fus samedi tout le jour chez madame de Villars [2] à parler de vous, et à pleurer ; elle entre bien dans mes sentiments. Hier je fus au sermon de M. d’Agen [3] et au salut, et chez madame de Puisieux, et chez madame de Pui-du-Fou, qui vous fait mille amitiés. Si vous aviez un petit manteau fourré, elle aurait l’esprit en repos. Aujourd’hui je m’en vais souper au faubourg tête à tête [4]. Voilà les fêtes de mon carnaval. Je fais tous les jours dire une messe pour vous : c’est une dévotion qui n’est pas chimérique. Je n’ai vu Adhémar [5] qu’un moment ; je m’en vais lui écrire, pour le remercier de son lit ; je lui en suis plus obligée que vous. Si vous voulez me faire un véritable plaisir, ayez soin de votre santé, dormez dans ce joli petit lit, mangez du potage, et servez-vous de tout le courage qui me manque. Continuez à m' écrire. Tout ce que vous avez laissé d’amitiés ici est augmenté : je ne finirais point à vous faire des compliments, et à vous dire l’inquiétude où l’on est de votre santé.

Mademoiselle d’Harcourt fut mariée avant- hier ; il y eut un grand souper maigre à toute la famille ; hier, un grand bal et un grand souper au roi, à la reine, à toutes les dames parées : c’était une des plus belles fêtes qu’on puisse voir.

Madame d’Heudicourt est partie avec un désespoir inconcevable, ayant perdu toutes ses amies, convaincue de tout ce que madame Scarron avait toujours défendu, et de toutes les trahisons du monde [6]. Mandez-moi quand vous aurez reçu mes lettres. Je fermerai tantôt celle-ci.

Lundi au soir.

Avant que d’aller au faubourg je fais mon paquet, et je l’adresse

  1. Catherine-Henriette d’Harcourt-Beuvron, troisième femme de Louis, duc d’Arpajon. La duchesse de Verneuil était fille du chancelier Séguier.
  2. Mère du maréchal duc de ce nom.
  3. Claude Joly, célèbre prédicateur, depuis évêque d’Agen.
  4. Avec madame de la Fayette, rue de Vaugirard.
  5. Joseph Adhémar de Monteil, frère de M. de Grignan, connu d’abord sous le nom d’Adhémar, fut appelé le chevalier de Crignan, après la mort de Charles-Philippe d' Adhémar son frère ; et, s’étant marié dans la suite avec N... d’Oraison, il reprit le nom de comte d’Adhémar.
  6. Il parait qu’elle écrivait à M. de Béthune, ambassadeur en Pologne, ce qui se passait de plus particulier à la cour.