Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/94

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Je n’aurais jamais fait, si je voulais nommer tous ceux et celles dont vous êtes aimée, estimée, adorée ; mais, quand vous aurez mis tout cela ensemble, soyez assurée, ma fille, que ce n’est rien en comparaison de ce que je suis pour vous. Je ne vous quitte pas un moment ; je pense à vous sans relâche, et de quelle façon ! J’ai embrassé votre fille, et elle m’a baisée et très-bien baisée de votre part. Savez-vous bien que je l’aime cette petite, quand je songe de qui elle vient ?


28. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 18 février 1671.

Je vous conjure, ma fille, de conserver vos yeux : pour les miens, vous savez qu’ils doivent finir à votre service. Vous comprenez bien, ma belle, que, delà manière dont vous m’écrivez, il faut bien que je pleure en lisant vos lettres. Pour comprendre quelque chose de l’état où je suis, joignez, ma bonne, à la tendresse et à l’inclination naturelle que j’ai pour votre personne, la petite circonstance d’être persuadée que vous m’aimez, et jugez de l’excès de mes sentiments. Méchante ! pourquoi me cachez-vous quelquefois de si précieux trésors ? Vous avez peur que je ne meure de joie ; mais ne craignez- vous pas aussi que je ne meure du déplaisir de croire voir le contraire ? Je prends d’Hacqueville à témoin de l’état où il m’a vue autrefois ; mais quittons ces tristes souvenirs, et laissez-moi jouir d’un bien sans lequel la vie m’est dure et fâcheuse. Ce ne sont point des paroles, ce sont des vérités. Madame de Guénégaud m’a mandé de quelle manière elle vous a vue pour moi : je vous conjure d’en garder le fond ; mais plus de larmes, je vous en prie : elles ne vous sont pas si saines qu’à moi. Je suis présentement assez raisonnable ; je me soutiens au besoin, et quelquefois je suis quatre ou cinq heures tout comme une autre ; mais peu de chose me remet à mon premier état : un souvenir, un lieu, une parole, une pensée un peu trop arrêtée, vos lettres surtout, les miennes même en les écrivant, quelqu’un qui me parle de vous ; voilà des écueils à ma constance, et ces écueils se rencontrent souvent. J’ai vu Raymond chez la comtesse du Lude ; elle me chanta un nouveau récit du ballet ; mais si vous voulez qu’on le chante, chantez-le. Je vois madame de Villars ; je me plais avec elle, parce qu’elle entre dans mes sentiments ; elles vous dit mille amitiés. Madame de la Fayette comprend fort bien aussi les tendresses que