Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/126

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se tordait, comme la bête de l’Apocalypse, la locomotive, ouvrant ses yeux de verre rouge dans les ténèbres et traînant après elle, en queue immense, ses vertèbres de wagons. C’était sans doute une pochade d’une furie enragée, brouillant le ciel et la terre d’un coup de brosse, une véritable extravagance, mais faite par un fou de génie. On pourrait peut-être poétiser et rendre pittoresque, à moins de frais, cette locomotive que nos littérateurs n’admirent pas suffisamment ; mais un peu de désordre et de cet effet fantastique à la Turner ne messiérait pas dans le chant que le poète consacre au cheval métallique qui doit remplacer Pégase.

Heureusement, parmi les Chants modernes se sont glissées un certain nombre de pièces charmantes, variations délicieuses sur ces trois thèmes anciens : la beauté, la nature et l’amour, qui jusqu’à présent ont suffi aux poètes peu curieux de nouveautés. Jamais Maxime Ducamp ne réussit mieux que lorsqu’il n’exécute pas le programme qu’il s’est tracé ; il n’en faut d’autre exemple que les Sonnets d’amour, les Femmes turques, la Vie au désert, et surtout la Maison démolie, où le souvenir mélancolique s’assoit sur les ruines dans la pose de l’ange d’Albert Durer, et rappelle en stances harmonieuses les joies, les peines, les deuils et les paisibles heures d’étude qu’ont abrités ces murs attaqués par le pic du maçon. C’est, toute proportion gardée, la Tristesse d’Olympio du volume.

Malgré les théories de Maxime Ducamp, la poésie s’occupe assez peu de l’époque où elle vit, et tourne encore la tête vers le passé au lieu de regarder vers l’avenir. La Flûte de Pan d’André Lefèvre en est la preuve. L’inspiration qui l’anime est tout antique, et un souffle du grand Pan traverse les roseaux de sa flûte inégale. Une petite préface de deux pages, d’où nous extrayons ces quelques lignes, contient l’esthétique de l’auteur, et le caractérise mieux que nous ne saurions le faire : "Rêveries sereines et plaintes passionnées, idylles antiques et poèmes amoureux, tous les tableaux ici rassemblés, quelle que soit la variété des sujets et des styles, sont liés par une chaîne continue, la croyance à la vie des choses.