Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/127

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Les inspirations nous sont venues du dehors. S’il est resté dans notre œuvre quelque chose de nous, si les objets que nous avons touchés gardent une apparence presque humaine, c’est que l’esprit s’unit à ce qu’il embrasse et pénètre ce qu’il anime ; vainement il voudrait n’être qu’un écho, il demeure un interprète. Tantôt nous décrivons des paysages solitaires, des bois, des monts, des océans livrés à eux-mêmes ; tantôt nous enchâssons dans un cadre étroit des idées à moitié transformées en images ; parfois encore, des femmes jeunes et belles paraissent à la lisière d’un bois ; on les voit s’ébattre au son de pipeaux invisibles. Mais sous toutes les couleurs, sous tous les visages, c’est la nature qui vit telle que la font les heures et les saisons ; la nature, l’enchanteresse qui préside à l’épanouissement des fleurs, à la naissance involontaire des instincts amoureux ; la consolatrice qui berce et qui apaise les désirs inassouvis ; l’antique Cybèle enfin, celle à qui les Grecs donnèrent tant de noms, tant de masques divinisés ! "

André Lefèvre est, comme on le voit, franchement panthéiste, en poésie du moins. Les formes se dégagent perpétuellement du sein des choses pour y retomber bientôt et renaître encore. Dans le moule idéal, la matière en fusion coule et se fige jusqu’à ce que le contour ne puisse plus la retenir. L’âme universelle circule du minéral à la plante, de la plante à l’animal, de l’animal à l’homme. La vie prodigue lutte avec la mort avare, qui redemande les éléments qu’elle lui a prêtés, et la nature inconsciente se tait, n’ayant point de parole et ne pouvant que répéter comme un écho la voix de l’homme ou plutôt de l’humanité.

Le monde est comme le Titan Prométhée ; le vautour funèbre lui ronge un foie qui renaît toujours. La vie et la mort ne sont que la recomposition et la décomposition des formes qui, sous le voile de la couleur, se métamorphosent sans cesse, et la matière éternelle de Spinoza a pour levain, dans la fermentation qui ne s’arrête jamais, le perpétuel devenir de Hegel. Ces idées sont développées par le poète avec une rare puissance de style et une grandeur