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ÉMILIE DE TOURVILLE
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qu’une vieille femme que je n’avais jamais vue et que j’allais trop voir pour mon malheur, qui me dit de m’arrêter dans la pièce où je suis, que M. de …, elle me le nomme, va venir à l’instant m’y trouver. Un froid universel s’empare de mes sens, et je tombe sur un fauteuil sans avoir la force de dire une parole ; à peine y suis-je que mes deux frères se présentent à moi, le pistolet à la main. — Malheureuse, s’écrie l’aîné, voilà donc comme tu nous en imposes ; si tu fais la moindre résistance, si tu jettes un cri, tu es morte. Suis-nous, nous allons t’apprendre à trahir à la fois ta famille que tu déshonores, et l’amant à qui tu te livrais. À ces derniers mots, la connaissance m’abandonna tout à fait, et je ne repris mes sens que pour me trouver dans le fond d’un carrosse qui me parut aller fort vite, entre mes deux frères et la vieille dont je viens de parler, les jambes attachées, et les deux mains serrées dans un mouchoir ; les larmes contenues jusqu’alors par l’excès de ma douleur, se firent passage avec abondance et je fus une heure dans un état qui, quelque coupable que je pusse être, aurait attendri tout autre que les deux bourreaux dont je dépendais. Ils ne me parlèrent pas de la route, j’imitai leur silence et m’abîmai dans ma douleur ; nous arrivâmes enfin le lendemain à