Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 8, 1797.djvu/81

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davantage ; et la conscience s’étourdit et se tait alors à tel point, que vous devenez capable de prolonger le crime au-delà même des bornes de la vie ; ce qui vous fait voir que cette situation de la conscience a cela de particulier sur les autres affections de l’ame, de s’anéantir en raison de ce qu’on l’accroît.

Mes premiers principes bien inculqués, rien ne doit plus vous arrêter ; je conviens que vous ne pourrez vous procurer cette situation tranquille qu’aux dépens d’autrui ; mais vous vous la procurerez. Et qu’importe le prochain, quand il est question de soi ! Si trois millions de victimes ne devaient pas, en les immolant, vous procurer une volupté plus vive que celle de faire un bon diner, tel mince que fût ce plaisir, eu égard à son prix, vous ne devriez pourtant pas balancer un instant à vous le donner ; car il résulterait nécessairement une privation pour vous du sacrifice de ce bon diner, et il n’en résulterait aucune de la perte des trois millions de créatures indifférentes qu’il faudrait sacrifier pour l’obtenir, parce qu’il existe une correspondance, telle légère qu’elle soit, entre ce bon diner et vous, et qu’il n’en existe aucune entre vous et les trois mil-