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LA GÉNÉRATION D’APRÈS BUFFON.

nombre limité. Elles passent d’un organisme dans l’autre, de façon à produire des êtres nouveaux, mais il n’en apparaît point de nouvelles. Tout se réduit, en dernière analyse, à des transformations, sans qu’il y ait création véritable. Ce n’est point à dire, bien entendu, qu’une puissance créatrice ne puisse intervenir dans le monde ; mais son rôle naturel est de déterminer ces transformations, ces migrations de molécules d’un moule dans un autre, auxquelles se réduisent les créations vitales.

Or si vous interrogez sur un pareil sujet les physiciens de 1872, ils vous exposeront le principe de la Conservation de l’énergie et ils vous montreront, avec toutes les réserves nécessaires, comment ce principe s’applique aux phénomènes vitaux. Pour eux aussi le jeu de la nature, — même dans le monde organique, — consiste à transformer, non à créer des mouvements.

Voilà quelques-unes des choses que nous pourrions dire pour atténuer les torts de Buffon. Toutefois, à tout prendre, ce n’est point affaire à nous de l’innocenter, et nous ne voulons point en rester sur cette impression que l’on pourrait nous reprocher comme une faiblesse. Un système est d’autant plus dangereux qu’il est plus séduisant. Ces conceptions utopiques, que leur auteur tire entièrement de son cerveau pour expliquer les faits, n’ont pas seulement l’inconvénient d’encombrer inutilement la science, elles détournent les esprits des recherches sérieuses en leur donnant une fausse satisfaction. Nous ne saurions donc trop louer l’inaltérable fermeté de Voltaire qui, sans se laisser éblouir par le renom de Buffon, exigeait avant tout qu’on lui montrât ces molécules organiques auxquelles on prétendait tout ramener.