Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/405

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chez moi ; il me dit que M. le Duc le renvoyoit m’assurer qu’il avoit la parole du régent pour la réduction des bâtards à leur rang d’ancienneté de leurs pairies ; qu’il en avoit envoyé la déclaration avec celle en faveur du comte de Toulouse à La Vrillière, telle que je les avois vues et au garde des sceaux pour les expédier, et qu’il étoit en état de me répondre qu’elles passeroient le lendemain. Jamais baiser donné à une belle maîtresse ne fut plus doux que celui que j’appuyai sur le gros et vieux visage de ce charmant messager. Une embrassade étroite et redoublée fut ma première réponse, suivie après de l’effusion de mon cœur pour M. le Duc et pour Millain même, qui nous avoit dignement servis dans ce grand coup de partie. Mais au milieu de ce transport je ne perdis pas le jugement ; je dis à Millain que La Vrillière, tout mon ami qu’il étoit, et le garde des sceaux, se sentoient du vieux chrême du feu roi ; que le dernier étoit de tout temps lié avec les bâtards ; que l’un et l’autre avoient fait des difficultés sur notre affaire au régent qui me l’avoit dit la veille ; qu’il falloit que M. le Duc couronnât son œuvre d’une nouvelle obligation sur nous ; que j’exigeois de son amitié qu’il prît la peine d’aller de ce pas lui-même chez l’un et chez l’autre leur témoigner qu’il ne regardoit pas la réduction des bâtards au rang de leurs pairies différemment de l’éducation, et que, par la manière dont ils en useroient pour faciliter cette réduction telle qu’il la leur avoit envoyée, il connoîtroit et sentiroit jusqu’où ils le voudroient obliger et comment il devroit aussi se conduire dans la suite avec eux. Millain n’y fit point de difficulté, et m’assura que M. le Duc n’y en feroit point non plus. Il ajouta même qu’il l’y accompagneroit pour voir avec lui les deux déclarations et si on n’y avoit rien changé. Je redoublai mes remerciements, lui dis qu’il falloit absolument que M. le Duc trouvât ces deux hommes chez eux, et me hâtai de le renvoyer pour n’y pas perdre un instant.

Le reste du jour se passa chez moi avec l’abbé Dubois,