Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/43

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moi-même j’ai longtemps aimé à croire que c’en était un, mais je viens de la relire, et il m’est impossible de ne pas reconnaître que ce qu’il y a eu là-dedans d’agréable, de touchant et d’à demi bien, est désormais tout à fait passé. J’invite à regret ceux qui douteraient de la justesse de mon impression, à s’en assurer par eux-mêmes. La première page est heureuse ; elle débute par un mouvement vif, mais qui ne se soutient pas et qui tourne vite au commun, au faux sensible et au faux élégant. L’auteur se pique d’être vrai avant tout ; cette vérité n’est ici qu’une phrase sentimentale de plus. Mademoiselle de Clermont, une petite-fille du grand Condé, distingue et aime un simple gentilhomme, le duc de Melun, qu’elle finit par épouser secrètement ; comme princesse, elle doit faire les avances, et cette situation est assez bien dessinée. Pourtant, tout avertit qu’on est dans un monde imaginaire : ces personnages s’attendrissent pour rien ; leurs genoux fléchissent, ils soupirent, ils chancellent sans qu’il y ait de quoi ; l’émotion prodiguée n’est que dans les mots. Les termes de sentiment, de sensibilité, d’attendrissement, qui reviennent à chaque page, ne ressortent au fond ni des situations ni des cœurs. L’affaire du placet que Mademoiselle de Clermont oublie pour un bal et dont M. de Melun tire un si grand parti à titre de leçon, cette grosse affaire qui est comme le nœud de action, rentre tout à fait dans le genre de Bouilly ou de Berquin. La dernière scène qui s’annonçait bien, quand Mademoiselle de Clermont déclarait vouloir à tout prix pénétrer jusqu’à M. de Melun blessé et mourant, cette scène est manquée finalement, puisque la princesse se laisse détourner de sa pensée, et qu’elle ne revoit point celui qu’elle aime. Dans ce petit roman, comme dans tous ceux de l’auteur, le récit, qui coule partout avec facilité, ne se relève nulle part d’aucune vivacité