Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, III, 3e éd.djvu/44

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d’expression. Les expressions qui ont quelque nouveauté et quelque fraîcheur sont très-rares chez Mme de Genlis, et on ne les l’encontrerait guère que dans quelques-uns de ses portraits de société, où elle est soutenue par la présence et la fidélité de ses souvenirs. On a dit très-justement de son style, comme on le disait d’une actrice qui jouait avec plus de sagesse que de mouvement : Elle est toujours bien, jamais mieux.

Il serait inutile d’appuyer sur un jugement qui est devenu peu à peu celui de tout le monde. Mme de Genlis tout à fait vieille, et telle qu’elle parut dans la société depuis sa rentrée en France, déployait de l’agrément et de l’amabilité, mais dans un cercle restreint. Son mouvement d’esprit n’avait pas faibli. Sa journée, invariablement réglée et remplie à tous les instante, commençait encore par quelques gammes sur la harpe, comme dans la jeunesse, et de là se distribuait en mille emplois avec une activité persistante. Elle avait conservé le besoin d’avoir des élèves, des protégés autour d’elle, des personnes dont elle s’engouait extrêmement : sa prévention en tout l’emportait sur son jugement et lui dictait sa façon de penser et de dire. Elle n’avait d’autre horizon qu’un horizon de société et de coterie. Très-avenante, très-séduisante quand elle le voulait, connaissant le fort et le faible d’un chacun, et habile à jeter ses filets sur vous, elle devenait froide et indifférente dès que vous ne répondiez pas sur le même ton à sa démonstration expansive. D’une grâce infinie quand elle goûtait les gens, elle allait jusqu’à être dure quand elle n’aimait pas. Sa conversation habituelle était des plus agréables, dit-on, sans grands traits et sans vifs éclairs, mais semée d’anecdotes amusantes, et d’un courant très-animé. En tout, ce qui lui manquait, c’était l’élévation dans l’âme et dans le talent, c’était la vérité et la nature ; d’ailleurs elle avait