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prétendaient remonter à Esculape ; qu’il était praticien et professeur renommé, et qu’il donnait des leçons qu’on payait. C’est bien peu. Il nous faut renoncer dès lors à toutes les anecdotes postérieures qui ont couru et qui font légende à son sujet ; aux services qu’il aurait rendus à la Grèce pendant la peste d’Athènes, et dont Thucydide ne dit mot ; à ces grands bûchers qu’il aurait fait allumer pour purifier l’air et qui chassèrent le fléau ; à son refus d’aller servir le roi de Perse, et à son mépris des présents d’Artaxerce : inventions agréables, ingénieuses, mais inventions de rhéteurs, nées d’écrits apocryphes que la critique n’admet pas et qu’elle met à néant. Elle est sans pitié, cette critique ; elle est en garde contre tout ce que cette Grèce aimable et mensongère a imaginé ; elle se bouche les oreilles avec de la cire contre la voix des Sirènes. Je suis de ceux qui ne sont pas sans quelque regret sur ces pertes que fait l’imagination des âges en avançant. Si nous détruisons la légende, il semble que nous devrions nous mettre en peine de la remplacer aussitôt ; si nous arrachons le rameau d’or, qu’un autre rameau succède à l’instant et repousse, ne fût-ce qu’un rameau d’argent. Ne laissons pas une lumière, même décevante, s’éteindre sans la rallumer sous une autre forme et, s’il se peut, par un autre flambeau. N’appauvrissons pas la mémoire humaine et le Panthéon du passé d’une grande image. Si la figure d’Hippocrate se détruit et s’évanouit par un côté, qu’elle se relève aussitôt et subsiste de l’autre.

M. Littré l’a fait en partie, bien que, doué comme il est, il l’eût pu faire peut-être encore davantage. J’aurais