Page:Sainte-Beuve - Nouveaux lundis, tome 6.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

THÉOPHILE GAUTIER.’. 32-1

un moment le peintre de lui céder la place ; car, pour ces poëtes déclassés, la critique est comme une lucarne qu’on leur ouvre, et il leur est diiñcile, quand la chose les intéresse un peu vivement, de ne pas passer la tête a la fenêtre pour dire : Me voici ! et pour venir chanter à leur tour leur petit couplet et leur chanson. À propos donc de ce tableau anglais, Venise telle qu’on la rêve, Théophile Gantier ne peut s’empêcher d’intervenir et de dire :.

« Pour notre part, nous Yavons fait souvent, le rêve de M. Hook. — Plus d’une fois elle a passé devant les yeux de notre âme cette barque qui porte un négrillon a la poupe et de beaux jeunes gens vêtus de sveltes costumes dont Vitlore Carpaccio habille ses Magnifiques ; plus d’une fois aussi nous avons vu en songe se pencher du haut des terrasses blanches ces belles filles aux tresses d’or crespelées, aux robes de brocart d’argent, aux colliers et aux bracelets de perles, qui jettent un baiser avec une fleur au galant haussé sur la pointe du piedl

« C’est ainsi en effet qu’on la rêve, la Vénus de VAdrÏatique, séchant sur sa rive de marbre son corps rose et blanc, humide encore des caresses de la nuit ; — et M. Hook, de ce sentiment d’une poésie presque banale, a fait un tableau délicieux. »

Jusqu’ici tout est bien ; mais écoutez la fin, qui est d’une mélancolique poésie :

« Cependant l’enduit rouge des palais s’écaille comme le fard aux joues d’une courtisane ; la vase et les herbes marines envahissent les canaux déserts ; des linges sèchent aux fenêtres bouchées de planches, et le crabe monte sur les marches