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THÉOPHILE. GAUTIER. 33s

de campagne, une troupe ambulante, les prédécesseurs immédiats de la jeunesse de Molière. Par un effet de ce grand goût qu’il a pour l’art et un certain art de convention, il a mieux aimé étudier la vie dans la comédie que de retrouver la comédie dans la vie. Cela lui imposait tout un langage et un style continu, une sorte de gamme et d’échelle harmonique où, la clef une fois donnée, rien ne fit fausse note et ne détonnàt. Il s’en est acquitté à merveille. La première, partie du roman surtout est en ce genre un chef-d’œuvre ; c’est le classique du romantique.

Une troupe de comédiens honnêtes gens, dest-à-dire qui prennent leur profession et leur métier au sérieux, errant la nuit par un désert de Gascogne, aperçoivent une clarté qui les dirige jusqu’à un château habité par le jeune baron de Sigognac. Mais quel château ! le vrai château de la misère. On n’a jamais exprimé avec un plus saisissant reliefula poésie de la ruine et du délabrement. Sigogtiac n’a pour toute bienvenue à offrir à la troupe comique que le gîte et le foyer z eux, en retour, ils lui apportent le souper et la victuailles ; leur chariot, à ce moment, est des mieux fournis. Une sorte de fraternité s’établit à l’instant entre les hôtes ; les beaux yeux d’Isabelle, Pingénue de la troupe (et véritablement honnête en effet), n’y nuisent pas. Au moment de se quitter, le baron se décide tout à coup à les suivre, à profiter de leur offre et de leur chariot pour aller jusqu’à Paris. Ce sont les détails de toutes ces journées de marche qu’il faut lire : la première station à l’auberge très-suspecte du Soleil bleu, le guet-