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POÉSIES


Pour échapper aux maux que fait la destinée,
Pour jouir ici-bas des fleurs de ma saison,
Et doucement couler cette humaine journée,
Que me faut-il ?… du ciel, de l’onde et du gazon,

Et, quand pâlit au soir la lumière affaiblie,
Une amoureuse voix, qui meurt à mon côté,
Qui dit non bien souvent et bien souvent l’oublie,
Des pleurs dans deux beaux yeux, un beau sein agité.

Que m’importent à moi les souvenirs antiques,
Et les os dispersés de tant d’illustres morts,
Et les noms qu’on veut lire au fronton des portiques,
Misène et son clairon, Caprée et ses remords,

Et les temples sous terre, et les urnes d’argile,
Tous ces objets si vains de si doctes débats ?
Et que m’importe encor le tombeau de Virgile,
El l’éternel laurier auquel je ne crois pas ?

Mais conte-moi longtemps, jeune Napolitaine,
Les noms harmonieux des arbres de ce bois ;
Nomme-moi les coteaux avec chaque fontaine,
Et les blanches villas qu’à l’horizon je vois ;

Dis-moi les mille noms de la sainte Madone
Dont tu baisas souvent le long voile doré,
Et ces autres doux noms que ton amour me donne
Et que me rend plus doux l’idiome adoré.

Oh ! jure de m’aimer ; alors je te veux croire.
Rien n’est sûr ici-bas qu’un humide baiser,
Que le rayon tremblant d’une prunelle noire,
Que de sentir un sein sous la main s’apaiser ;