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DE JOSEPH DELORME

Le cygne va partir, son aile se déploie ;
Rien qu’un frêle ruban, un léger fil de soie,
Ne retient son essor.

La brise, recueillant les trésors de la plage,
Lui porte des parfums confondus en nuage
Avec des bruits charmants ;
Et devant lui, pareils à des Ombres chéries,
Glissent sur des flots d’or en des barques fleuries
D’heureux couples d’amants.

Plus d’un, près du rocher, tout en passant, l’appelle
Et, d’en bas lui lançant une gaieté cruelle,
Le convie au bonheur…
Jouissez du bonheur, vous que le Ciel protège.
Qu’il aime, et dont jamais un rêve sacrilège
N’a traversé le cœur !

Il est pour les humains d’effroyables pensées ;
Les âmes qu’en tombant ces flèches ont blessées
Ne sauraient en guérir ;
La vie en est gâtée, et chaque heure trop lente
Y laisse en s’écoulant une trace sanglante :
On n’a plus qu’à mourir.

Charles sourit d’en haut à la folie humaine ;
Ineffable sourire ! oh ! qu’il est pur de haine,
Qu’il est plein de douceur !
Telle une sœur mourante, à l’agonie en proie,
Sourit aux jeux naïfs, à l’innocente joie
De sa plus jeune sœur.

Cependant, à la fin, quelque vapeur légère,
Quelque nuage errant, d’une ombre passagère
Couvrira le tableau ;