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LIVRE PREMIER

avait fait exclure, s’en vint prêcher à Port-Royal ; il le fit assez bien, et s’étendit fort sur la huitième béatitude : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. Et après l’Office, une bonne fille, depuis religieuse, et qui servait alors la mère Angélique, lui dit avec émotion : «Si vous vouliez, Madame, vous seriez de ces bienheureux qui souffrent persécution pour la justice.» L’abbesse rebuta du premier mouvement cette fille, comme bien hardie de lui parler ainsi ; mais le trait avait pénétré. À l’Avent prochain, il y eut un jubilé ; la mère Angélique songea à le gagner, et, pour cela, à faire une revue et une confession générale de ses fautes. Elle se promettait bien, devant Dieu, de ne pas les confesser pour les recommencer ensuite, mais de vivre dorénavant en véritable religieuse. Le moine qui avait prêché à la Toussaint[1] fut celui à qui elle s’adressa, n’ayant guère le choix d’un autre plus sûr, et il la confirma dans son voeu, aussi bien que celles des religieuses fidèles. C’est alors que sa réflexion, sa tristesse, se concentrant de plus en plus à saisir les moyens d’exécution, et sa fièvre quarte, qui la tenait depuis huit mois, la consumant plus fort, un jour du Carême de 1609, la prieure, la mère Du Pont, qui l’aimait beaucoup et qui souffrait de sa peine, la pria, avec une autre bonne fille, d’entrer dans une cellule, et là lui dit combien elle s’affligeait de la voir ainsi se miner en mélancolie, lui en demandant instamment le sujet. Et dès que l'abbesse l’eut avoué, la prieure répondit que, toutes, elles aimeraient mieux faire ce qu’il lui plairait, que de la voir s’attrister plus longtemps. On prit donc jour, celui de la fête de saint Benoît, et, à l’assemblée du Chapitre, l’abbesse proposa de tout mettre

  1. On l’appelait de son premier nom maître de Quersaillou ou Bégard, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, mais les Relations varient ; on l’appela depuis, du nom d’une abbaye, M. de Vauclair.