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PORT-ROYAL

Resté seul, et les gardes éloignés, il chante et prie, ou plutôt l’esprit divin qui le transporte chante et s’exalte en son cœur :

Source délicieuse, en misères féconde,
Que voulez-vous de moi, flatteuses Voluptés ?
..............

Et en contraste :

Saintes douceurs du Ciel, adorables idées,
Vous remplissez un cœur qui vous peut recevoir ;
De vos sacrés attraits les âmes possédées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir.
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage :
Vos biens ne sont point inconstants ;
Et l’heureux trépas que j’attends
Ne vous sert que d’un doux passage
Pour nous introduire au partage
Qui nous rend à jamais contents.

Ce chant de Polyeucte, cet hymne en chœur de ses pensées, imité ensuite par Rotrou dans Saint Genest, et qui avait ses précédents lyriques dans le théâtre espagnol et chez les Grecs, est le premier prélude, un jet éloquent des chœurs ensuite déployés d’Esther et d’Athalie.

Dans notre scène du Guichet (vous souriez), un moment répondrait assez à celui même de Polyeucte en sa prison ; c’est l’heure d’intervalle où la jeune Angélique seule en prière, aux marches de l'autel, prête l’oreille et attend son père : ne mesurez que les sentiments. C’est l’instant encore où derrière la porte ébranlée, se tenant immobile, pendant que son père foudroie, elle ne l’interrompt que par de tremblants monosyllabes pour le supplier d’entrer au parloir voisin. Dans l’âme d’Angélique un chant s’essaie aussi, un hymne se fait entendre à qui sait l’écouter ; la voix des sévères douceurs du Ciel la soutient. Si l’orgue traduisait ce qui se