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LIVRE PREMIER

la part glorieuse et motivée dans laquelle il admit plus tard Athalie. Lorsqu’il a parlé au long et avec mépris des anciens mystères et martyres chrétiens produits sur la scène :

 De pèlerins, dit-on, une troupe grossière
En public à Paris y monta la première,
Et, sottement zélée en sa simplicité,
Joua les Saints, la Vierge et Dieu, par piété.
Le savoir, à la fin, dissipant l’ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence :
On chassa ces docteurs prêchant sans mission ;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion…

ce sont de beaux vers ; mais Boileau, en les écrivant, aurait pu se souvenir de Polyeucte, et dire (c’eût été le lieu naturel) que ce genre religieux, longtemps bas en effet et grossièrement naïf, et justement rejeté, avait été comme ressaisi à distance, transformé et renouvelé par un coup de génie ; qu’il se trouvait avoir un dernier et soudain héritier, un rejeton imprévu et le premier illustre, dans le Polyeucte de Corneille, et il aurait pu ajouter sans trop de complaisance, dans le Saint Genest de Rotrou. Ces choses, un peu difficiles à dire en vers, auraient provoqué agréablement sa verve industrieuse, et servi l’ornement en même temps que le fond de son poème. Mais c’est trop demander. Je ne trouve pas non plus Polyeucte mentionné à côté des quatre chefs d’œuvre, le Cid, Horace, Cinna, et Pompée, que Racine énumère dans son Discours académique pour la réception de Thomas Corneille. Fontenelle, qui par son esprit fut digne de tout comprendre et presque de tout sentir, le même quia qualifié l'Imitation de Jésus-Christ d’un mot immortel[1], a eu de Polyeucte la véritable idée ;

  1. «Ce livre le plus beau qui soit parti de la main d’un homme, puisque l’Évangile n’en vient pas … »Fontenelle, Vie de Corneille.