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PORT-ROYAL

même d’un époux qui convertit l'amante et la baptise. Ici toute une histoire secrète, romanesque, comme celles qui sont si ordinaires dans l’ancienne comédie : au lieu d’être une princesse déguisée, Natalie se trouve une fidèle cachée. Sa mère chrétienne ne l’avait donnée à un païen que par contrainte et pour obéir à César :

Ses larmes seulement marquèrent ses douleurs :
Car qu’est-ce qu’une esclave a de plus que des pleurs ?

On est d’ailleurs satisfait de cette union des deux cœurs en la même croyance. Dans Polyeucte on n’y arrive qu’après de pathétiques déchirements qui sont l’action même : ici la pièce à double fond est bien assez compliquée sans ce ressort ; car n’oublions pas que c’est de Genest qu’il s’agit : l’union d’Adrien et de Natalie peut avoir lieu tout d’abord, et elle est complète dans sa douceur :

Tous deux dignes de mort, et tous deux résolus,
Puisque nous voici joints, ne nous séparons plus ;
Qu’aucun temps, qu’aucun lieu jamais ne nous divisent !
Un supplice, un cachot, un juge nous suffisent !

C’est Natalie qui s’écrie ainsi. Adrien toutefois l’engage à ne pas devancer les temps et à vivre encore. Flavie survient et les interrompt. Le discours à double sens de Natalie devant Flavie a de l’intérêt ; dès qu’elle est seule, en sortant, son monologue éclate en liberté devant les étoiles, et avec une certaine élévation pleine de brillants qui marquent l’époque ;

Donnons air au beau feu dont notre âme est pressée.

Mais tout d’un coup, quand on en est là de la pièce intercalée, Genest quittant son rôle d’Adrien et redevenant Genest en personne, s’adresse de sa voix naturelle