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PORT-ROYAL

de celle des heureux, se ressemblent : ce sont des labeurs tout réels, arides, épineux, sans cesse recommençants sur cette terre, qui ont bien leur secrète joie, qui ont surtout leur lutte obscure. C’est par l’étude suivie, réfléchie et presque contrite, par une étude plutôt mêlée de prière, non point dans ce genre d’exposition sérieuse, mais extérieure et trop littéraire où l’imagination et la curiosité ont tant de part, qu’il les faudrait aborder.

Ayant emporté la réforme malgré son père et sa famille, la jeune abbesse en voulut embrasser d’abord les entières conséquences. Afin de rester plus libre dans l’obligation unique et de ne devoir rien à César, elle commença par se retrancher strictement toute demande de secours et d’argent auprès de M. Arnauld, qui avait précédemment subvenu à bien des besoins du pauvre monastère. Il en résulta à l’instant une indigence nécessaire et forcée qui était sa joie à elle, et qu’elle entreprit, par mille bonnes grâces et par mille adresses, de faire agréer aux sœurs. Elle redoublait pour elles toutes de charité, et, en même temps qu’elle ôtait au bien-être de leur corps, elle tâchait de le leur rendre au centuple par le partage et la multiplication de son âme. La pauvreté ne méritait pas ce nom à ses yeux, si elle ne donnait occasion de souffrir : sa charité ne consistait pas à sauver aux autres quelques souffrances légitimes, mais à les compenser surtout, et comme à les revêtir par de spirituelles joies.[1]Elle reçut elle-même à cette époque une consolation croissante dans les confesseurs et directeurs qu’elle rencontra, et qui, s’ils n’étaient pas encore le directeur complet qui ne lui échut que plus tard en la

  1. Selon ses propres paroles, «les misères de la vie ne lui étaient sensibles, et dans elle et dans les autres, qu’en ce qu’elles figurent celles de l’âme, ou qu’elles contribuent à les accroître, quand elles ne sont pas portées avec soumission à Dieu.»