Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t1, 1878.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
LIVRE PREMIER.

l’avoir vue partir, elle alla se jeter à genoux dans l’église en redisant ces paroles de saint Pierre : Ecce nos reliquimus omnia; et elle répétait cet omnia, omnia, avec un accent où passait tout son cœur.

Quant à la mère Angélique, elle savait bien à quelle longue fatigue, à quelle œuvre de misère en même temps que de devoir elle marchait et conduisait ses sœurs ; elle savait que, pour tirer du profond oubli et de l’abîme, où elles se complaisaient, ces religieuses plus qu’à demi perdues de Maubuisson, il faudrait ne pas s’épargner soi-même, prêcher d’exemple et d’action, être debout jusqu’à extinction d’haleine, caresser, flatter presque, ramener par tous moyens les unes, réprimer les autres, en former surtout de nouvelles et de vierges, capables de parfaite modestie, et remuer, pétrir nuit et jour tout cet ensemble pour l’animer d’un seul esprit toujours présent ; elle ne se dissimulait rien de cette œuvre exterminante pour la santé et pour la vie ; elle en avertit ses compagnes, ne donnant d’autres bornes à leur discrétion que celles de leur charité et de leur ferveur. Avant de partir, elle montra à sa jeune sœur Marie-Claire le lit que celle-ci aurait à occuper un jour dans l’infirmerie de Port-Royal, au retour de cette rude et ruineuse campagne ; comme un général plein de franchise qui montrerait les Invalides à ses soldats au départ pour la bataille.[1]

  1. Le pronostic se réalisa. La sœur Isabelle-Agnès de Château-neuf, l’une des deux jeunes professes emmenées dans cette mission, n’eut point de santé depuis lors et mourut au monastère de Paris le 4 juin 1626, n’ayant encore que vingt-huit ans ; et la sœur Marie-Claire, qui ne mourut qu’en 1642, affirmait, deux ans avant sa mort, à la sœur Angélique de Saint-Jean (sa nièce), que, depuis son entrée à Maubuisson (il y avait pour lors vingt-deux ans), elle n’avait point passé un seul jour sans avoir la fièvre toute l’après-dînée. — «Mais à quoi bon réformer Maubuisson ? pourquoi tant d’efforts, de fatigues, de prodigalité de soi-même,