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PORT-ROYAL

En arrivant à Maubuisson, elles trouvèrent vingt-deux religieuses environ, dont la plupart y avaient été

    pour des résultats dont quelques-uns ne sont pas essentiels à la bonne conscience et au salut ? pourquoi risquer sa santé et sa vie pour rapprendre à des religieuses relâchées à mieux chanter au chœur, à bien articuler les répons, à observer l’abstinence ? Passe encore si c’était simplement pour pratiquer l’aumône.» Ces objections devaient surtout s’élever autour de moi en pays calviniste, où j’essayais d’abord mon récit ; elles pourraient s’élever ici même, si l’on cherchait un but, si l’on apportait mieux qu’une simple curiosité amusée à cette lecture ; j’y répondais : On ne construit pas ainsi le bien hors des temps et des circonstances ; on ne le compose pas à plaisir comme un bouquet de fleurs, en retranchant les herbes qui déparent et les épines aux haies qu’il faut franchir. Jusqu’à quel point les couvents étaient-ils nécessaires ? jusqu’à quel point aurait-on pu dès lors les diminuer ? C’étaient là des questions qu’un M. de Saint-Cyran se serait senti en mesure d’agiter peut-être, mais qui certes dépassaient le droit et la capacité d’examen de la jeune Angélique. Si elle s’y était jetée, l’orgueil s’en mêlait, elle faisait mal. Ce qu’elle avait à opérer dans la ligne du bien était précis et sûr. Car autant les questions générales, quand on se les pose (et il faut se les poser dans certains cas), embarrassent et troublent, et jettent souvent dans des solutions ambiguës, autant dans la pratique réelle il y a toujours une lumière qui porte sur ce qui est immédiatement saisissable et meilleur. Un pied devant l’autre : on peut toujours cela. La jeune Angélique était religieuse, il y avait des couvents de toutes parts, la France en était couverte : qu’y avait-il à faire pour le bien, pour le Christianisme le plus spirituel, en cet ordre donné ? quoi donc, sinon ce qu’elle a fait ? travailler à la machine pour la recomposer dans l’idée du plan, pour la rendre utile aux belles fins proposées. Une comparaison dira mieux. Il s’agissait de procurer aux âmes l’eau céleste qui était tarie, de refaire courir dans ce pays de Chrétienté les canaux de charité et de grâce ; on avait pour cela une machine, fort compliquée il est vrai, fort dispendieuse, bonne surtout en son temps, je le veux, et déjà vieillissante ; mais enfin elle subsistait, on n’en avait pas d’autre ; c’était la forme nécessaire et l’appareil par lequel il fallait passer, que cette machine de Marly des couvents. En travaillant à la désobstruer, en s’usant à chaque rouage pour le remonter, notre abbesse a fait vaillamment selon l’esprit du strict devoir chrétien, dans quelque sens qu’on l’entende ; elle ne s’est pas trompée. La charité, grâce à ses efforts, recommença de couler