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LIVRE PREMIER.

«Ce grand nombre de filles, qui accrut tout à coup la Communauté de Port-Royal, ne fit qu’y allumer une plus grande ferveur ; comme quand on jette une grande quantité de bois dans un grand feu, il s’embrase davantage[1]

C’est par de tels exploits de charité que la mère Angélique était déjà proclamée, dans tout Cîteaux, la Thérèse de l’Ordre[2]

  1. Quant à l’abbaye de Maubuisson, elle alla se relâchant un peu sous le gouvernement de madame de Soissons, sans retomber pourtant dans aucun des précédents désordres. Mais l'esprit en devint béat et efféminé ; pour remplir le vide causé par le départ des filles de la mère Angélique, madame de Soissons reçut une douzaine de novices sans vocation : toute leur dévotion, est-il dit, allait à des exercices d’une piété molle et agréable aux sens. Elles aimaient fort la musique et faisaient des processions dans les jardins, nu-tête, les cheveux épars, couronnées d’épines, et chantant des hymnes. Cela dura cinq ans environ. La duchesse de Longueville, prévoyant la fin de madame de Soissons dont la santé ne pouvait aller loin, s’adressa confidentiellement à la mère Angélique, qui lui désigna, comme sujet capable de suppléer ou de succéder, la mère Marie des Anges : celle-ci, par l’effet des démarches de la duchesse et de la mort précisément survenue de madame de Soissons, se trouva tout d’un coup promue comme abbesse, en janvier 1627, à la tête de cette grande et noble maison ; elle y reprit les errements de la mère Angélique, y gouverna durant vingt-deux ans, et ne se retira (en 1648) qu’après s’être assurée de laisser la charge aux mains d’une pieuse héritière. La réforme s’y maintint assez bien pour que Dom Clémencet, écrivant au dix-huitième siècle, parle du véritable esprit de saint Bernard qu’on y voit encore régner aujourd’hui, dit-il, sous la conduite de la digne sœur du grand Colbert. Ce grand Colbert, en style janséniste, n’est autre que l’évêque de Montpellier.
  2. Je ne prétends pas confisquer pour elle le titre. Il y avait alors chez les Carmélites de la rue Saint Jacques, dans la famille spirituelle directe de sainte Thérèse, une grande-prieure, la mère Madeleine de Saint-Joseph, qui était appelée la sainte Thérèse de France (M. Cousin, la Jeunesse de madame de Longueville, 1853, p. 91). Mais le caractère de la piété de la mère Angélique est à part, pour je ne sais quoi de plus mâle, et ne saurait se confondre, ce me semble, même avant l’intervention de M. de Saint-Cyran, ni avec la piété des Carmélites, ni avec celle des premières religieuses de la Visitation (voir leurs Vies écrites par la révérende