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LIVRE PREMIER.

Celui de qui l’on a écrit cette page sentait certes les harmonies de la nature autant qu’aucun des deux poètes qui les ont expressément célébrées.

C’est le propre et l’effet de ces natures tendres et mélodieuses, de plaire singulièrement aux personnes du sexe et d’agir sur elles par leurs écrits. Des natures plus mâles, plus sévères, sont quelquefois lassées et un peu impatientées de cette douceur et de cette expansion continue qui fait l’attrait pour les autres. Saint François de Sales a eu une incroyable action sur tout le sexe de son temps par ses ouvrages de dévotion affective. Sa Philothée, son Théotime, ç’a été comme le Paul et Virginie, le Jocelyn et l’Elvire d’alors : ces livres étaient prodigieusement lus.

Sans sortir de son moment, nous trouvons des points naturels de comparaison littéraire dans les livres en vogue à côté des siens : on l’a vu déjà en goût de Des Portes ; il connaissait D’Urfé, l’auteur de lAstrée, qui passa une grande partie de sa vie en Savoie et en Piémont. Voici ce qu’on raconte : «M. de Sales, évêque de Genève, M. le marquis d’Urfé et M. Camus, évêque de Belley, étaient fort amis. Ces messieurs étant un jour ensemble, M. l’évêque de Belley leur dit : Nous sommes ici trois bons amis qui avons acquis de la réputation par nos ouvrages. M. le marquis en a fait un qui est le Bréviaire des courtisans (le roman d’Astrée) ; M. de Sales en a fait un autre qui est le Bréviaire des gens de bien (l’Introduction à la Vie dévote). Pour moi, ajouta-t-il, j’en ai fait plusieurs qui sont, si vous voulez, le Bréviaire des halles, mais qui ne laissent pas de plaire au public et


    spirituel, de cet excellent petit livre que saint François de Sales portait sur lui sans cesse, qu’il préférait, pour l’usage quotidien, même à l’Imitation y et qui, comme l'Imitation aussi, a laissé son humble auteur dans l’ombre.