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PORT-ROYAL.

qui se vendent bien[1]» Le bon Camus, par son Bréviaire des halles, entendait sans doute que ses livres, d’une dévotion gaie, familière et assaisonnée de tout sel, allaient au gros peuple. Quant au rapprochement un peu folâtre, il reste juste dans sa drôlerie : Philothée est assez la sœur de Céladon.

Saint François de Sales eut, on le conçoit, un culte singulier pour la Vierge. Notre-Dame, dont chez les anciens Pères il est moins souvent question, avait été la grande adoration, l’idéal chevaleresque et mystique du Moyen-Âge : ce culte depuis n’a plus cessé. Saint François de Sales, autant que saint François d’Assise, était du Moyen-Âge en ce point. Son imagination chaste et vive avait besoin, pour se reposer, de cette figure céleste et souriante de la Mère de Dieu. Ce fut devant son image que, jeune étudiant, à Paris, dans l’église de Saint-Étienne-des-Grès, il fit vœu d’absolue continence. Durant ce séjour à Paris, il fut de plus horriblement tenté, nous dit-on, de l’idée qu’il était réprouvé,

  1. Cizeron-Rival, Récréations littéraires. — Un propos analogue est rapporté dans L’Esprit de Saint François de Sales (au tome VI de l’édition originale, XVI° partie, chap. XXX), et se trouve cité dans l’utile ouvrage de M. Auguste Bernard sur les D’Urfé(1839): «Entre autres propos symposiaques que nous eusmes durant et après le repas, il me souvient d’une agréable remarque de M. d’Urfé qui, parlant de l’ancienne amitié qui estoit entre nostre Bienheureux, M. le président Favre et luy, dit que chacun des trois avoit peint pour l’éternité, et fait un livre singulier et qui ne périroit point : notre Bienheureux sa Philothée, qui est le livre de tous les dévots ; M. Favre le Code Fabrian, qui est le livre de tous les barreaux, et luy l’Astrée, qui estoit le bréviaire de tous les courtisans. Nous nous entretinsmes fort gracieusement de cette généreuse remarque.» Le Père Tournemine, dans une lettre judicieuse sur le style de saint François de Sales, insérée dans les Mémoires de Trévoux (juillet 1736), loue l’auteur de Philothée d’avoir, par ses livres de dévotion, dégoûté des romans et de l’Astrée : l’éloge ici porte à faux ; cela se mariait assez bien ensemble.