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PORT-ROYAL.

rigoureux, tellement qu’il ne leur parlait jamais qu’en lieux ouverts et devant témoins, qu’il leur parlait et les voyait sans les regarder ; que si l’on disait de l’une qu’elle était belle, il n’osait le répéter et répondait seulement qu’on la disait spécieuse en effet, aimant mieux employer un terme peu français[1], que ce mot de belle qui sonne toujours trop bien. Enfin n’omettons pas ce conseil qu’il avait coutume de se donner : « Quand on écrit à une femme, il faudrait, s’il se pouvait, plutôt écrire avec la pointe du canif qu’avec le bec de la plume, pour ne rien dire de superflu[2]. »

  1. Très-heureusement français, au contraire, et qui marque si bien que la beauté n’est qu’une apparence.
  2. Maxime qui chez lui n’est pas si stricte pourtant qu’elle lui interdise de finir une lettre à madame de Chantal en ces mots : « Il est neuf heures du soir, il faut que je fasse collation et que je die l’Office pour prescher demain à huit heures, mais je ne me puis arracher de dessus ce papier. Et si faut-il que je vous die encore cette petite folie, c’est que je presche si joliment à mon gré en ce lieu, je dis je ne sçay quoy que ces bonnes gens entendent si bien, que quasi ils me respondroient volontiers. » C’est dans la même lettre (dussions-nous paraître encore revenir sur nos pas) qu’on lit cet autre passage où le conseil se joue bientôt et presque s’égare en superfluités gracieuses : « Mon Dieu ! ma fille, ne sçauriez-vous vous prosterner devant Dieu, quand cela vous arrive, et luy dire tout simplement : « Oui, Seigneur, si vous le voulez, je le veux, et si vous ne le voulez pas, je ne le veux pas ; » et puis passer à faire un peu d’exercice et d’action qui vous serve de divertissement ? Mais, ma fille, voicy ce que vous faites : quand cette bagatelle se présente à vostre esprit, vostre esprit s’en fasche et ne voudroit point voir cela ; il craint que cela ne l’arreste : cette crainte retire la force de vostre esprit et laisse ce pauvre esprit tout pasle, triste et tremblant ; cette crainte lui desplaît et engendre une autre crainte que cette première crainte et l’effroy qu’elle donne ne soit cause du mal ; et ainsy vous vous embarrassez. Vous craignez la crainte, puis vous craignez la crainte (de la crainte) ; vous vous faschez de la fascherie, et puis vous vous faschez d’estre faschée de la fascherie : c’est comme j’en ai veu plusieurs qui, s’estant mis en colère, sont par après en colère de s’estre mis en colère ; et semble tout cela aux cercles qui se font en l’eau quand on y a jeté une pierre, car il se fait