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PORT-ROYAL.

toutes sortes de services à ce duc, qui étoit très-habile selon les hommes, et un perdu selon Dieu[1]. »

Quand la mère Angélique racontait ces souvenirs à M. Le Maître, elle n’avait aucun intérêt à les dire ; elle ne se doutait pas qu’ils allaient être écrits par son neveu. De plus (qu’on y songe), celui qui lui a confié ce jugement sur le duc de Savoie a dû lui dire le reste sur la Cour de Rome : cette coïncidence est précieuse ; l’une et l’autre confidence s’appuient. Or, en abordant la vie de saint François de Sales, j’en détache rapidement ce qui touche ce point politique.

Né en 1567, au château de Sales, d’une famille illustre de Savoie, François de Sales, après de bonnes études de philosophie, de théologie, de droit, à Paris, à Padoue, revint dans son pays, où son père le fit recevoir avocat au sénat de Chambéry ; il allait être sénateur ; mais sa vocation ecclésiastique l’emporta : il triompha des résistances de sa famille et prit les Ordres. L’évêque de Genève, Claude de Granier, résidait à Annecy : le jeune François fut nommé prévôt de son église ; c’était la première dignité du Chapitre. Presque aussitôt il eut à se mettre à la tête de la mission du Chablais, qui tient une si grande place dans l’histoire de sa vie et dans celle de ces contrées.

Lors de la guerre entre François Ier et le duc de Savoie Charles III (1535), Berne poussée par Genève avait profité de l’occasion contre ce dernier ; entre autres pays à leur convenance, les Suisses protestants s’étaient emparés du duché de Chablais, des bailliages de Ternier et Gaillard. La religion catholique y avait fait place à la réformée, qui eut bien des années pour s’y affermir.

  1. Mémoires pour servir à l’Histoire de Port-Royal (Utrecht, 1742) ; tome II, p. 301.