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LIVRE PREMIER.

manque pas de comparer cette vie pénitente et studieuse des deux amis en ces années, à la célèbre et presque idéale retraite où vécurent dans un temps saint Basile et saint Grégoire de Nazianze : ceux-ci pourtant y durent mêler plus de grâce d’esprit à coup sûr et plus de tendresse d’âme ; il faudrait chercher de moins doux exemples pour ces Fulgence et ces Prosper renaissants. Jamais d’ailleurs avidité de savoir ne fut plus opiniâtre. Madame de Hauranne mère disait souvent à son fils qu’il tuerait ce bon Flamand à force de le faire étudier. Jansénius, le plus délicat des deux pour le tempérament, était infatigable ; il ne se couchait presque pas. Lancelot a vu chez M. de Saint-Cyran un vieux fauteuil à l’un des bras duquel était adapté un pupitre ; c’est là, dans ce fauteuil, que Jansénius, quand il était à Paris, étudiait, habitait presque, y demeurant la plupart des nuits sans se coucher[1]. Tout leur exercice à Champré consistait au jeu de volant, où ils étaient devenus d’une extrême adresse, et, entre deux chapitres des Pères, ils faisaient plusieurs milliers de coups sans manquer.

Les cinq années que les deux amis passèrent dans le pays ne furent pourtant pas de pure retraite jusqu’au bout. L’évêque de Bayonne, M. Bertrand d’Eschaux (ou

    sion de ses écrits imprimés ou inédits, avoués, anonymes ou pseudonymes. On savait que cette Histoire existait. Grégoire, dans ses Ruines de Port-Royal, parle de deux exemplaires manuscrits. Dom Brial en possédait un ; en suivant la piste, j’ai fini par le retrouver et l’acquérir. Ce n’est pas moins de cinq volumes in-4o; trois sont consacrés à ces Messieurs, un aux Religieuses qui ont écrit, et un autre aux Théologiens de Louvain. Mon travail, étayé à une érudition bénédictine, est devenu commode et plus sûr.

  1. Mémoires touchant la Vie de M. de Saint-Cyran, par Lancelot, 2 vol. in-12, 1738, tome I, page 103 ; tome II, p. 308. Ces deux excellents volumes, d’une exactitude scrupuleuse pour les dates et pour les faits, sont essentiels sur M. de Saint-Cyran et sur les commencements des solitaires à Port-Royal.