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LIVRE PREMIER.

qui s’était venue loger à Port-Royal, avait induit à ces dépenses par un don de vingt-quatre mille livres qui n’avaient servi qu’à payer les fondements. On alla jusqu’à devoir cent trente-six mille livres. Port-Royal, au temporel comme au spirituel, se dérangeait.

Madame de Pontcarré avait posé la première pierre du grand bâtiment, et j’ose dire que jusqu’au bout l’établissement de Paris s’en ressentit ; toujours instable et ruineux, jusqu’à ce qu’il échappe : notre vraie patrie, à nous qui aimons Port-Royal, sera toujours aux Champs[1].

M. Zamet, ayant obtenu que l’abbaye de Tard de Dijon sortît, comme Port-Royal, de la juridiction de Citeaux et passât sous la sienne, forma le projet d’unir les deux maisons. Pour y faire régner un même esprit, il établit des échanges de l’une à l’autre, et voulut qu’on se prêtât réciproquement quelques-uns des meilleurs sujets. Il envoya au Tard, c’est-à-dire à Dijon[2], la mère

    jouoit parfaitement bien du luth ; et on lui faisoit porter son luth au parloir, afin qu’elle jouât devant le Prélat, qui lui dit un jour qu’il falloit qu’elle fît un sacrifice à Dieu de cette satisfaction : ce qu’elle accorda aussitôt…. (Mais elle ne s’interdit pas d’autres agréments.) On donna à cette dame la galerie au-dessus des parloirs ; elle y fit faire un parloir et un tour, un oratoire tout peint de camayeu, et un grand cabinet. Elle fit encore faire une terrasse devant les fenêtres de sa chambre, où elle fit mettre quantité de caisses d’orangers.» (Mémoires pour servir, etc., Utrecht, 1742, tome I, p. 497.)

  1. Lorsqu’à travers bien des vicissitudes et des persécutions, nos religieuses, dépossédées de la maison de Paris, furent retournées à leur vrai Port-Royal des Champs, celui de Paris passa, quelques années après, aux mains d’une abbesse, madame Harlay de Chanvallon, sœur de l’archevêque d’alors : je trouve chez madame Des Houlières un Bouquet poétique à cette abbesse pour le jour de sa fête (1688) : ce bouquet-là est comme une bouture refleurie des orangers de madame de Pontcarré.
  2. Sur cette abbaye de Tard dont il est souvent parlé dans nos commencements, il est à remarquer, en effet, que les religieuses bernardines qui en formaient la Communauté s’étaient transférées dès 1623 à Dijon, pour échapper aux insultes des partisans