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LIVRE PREMIER.

et tout cadrait dans le détail avec les inclinations du fondateur :

« Car il désiroit, est-il dit, que ce fût un monastère célèbre, favorisé des Grands, situé au meilleur quartier de la ville, et dont l’église fût plus magnifique que celles de toutes les autres maisons religieuses. Il vouloit que les filles qu’on y recevroit y apportassent chacune dix mille livres ; qu’elles fussent de bon esprit, bien civiles, capables d’entretenir des Princesses ; que leur habit fût blanc et rouge, d’une étoffe fine, d’une façon avantageuse, et, comme il disoit, souverainement auguste… ; qu’on y dit matines le soir à huit heures ; et que tout y fût si doux et si agréable, qu’il ne fit point peur aux filles de la Cour… ; et avec cela, que ce fussent des filles d’oraison, fort élevées dans les voies de Dieu, et qui pussent parler de ces choses avec lumière, comme si l’on pouvoit accorder l’esprit du monde et celui de Dieu[1]. »

La mère Angélique entra dans la maison du Saint-Sacrement comme supérieure, parce que l’archevêque de Paris ne voulut pas entendre parler d’une autre ; mais M. Zamet lui associa une sœur, une simple postulante qui l’épiait et la contrecarrait dans son gouvernement. Les Pères de l’Oratoire, Condren, Seguenot et autres y avaient grand accès pour la direction, et n’y faisaient guère honneur aux voies ouvertes par M. de Bérulle. Ce n’étaient plus que dévotions petites, chimériques, continuelles idées d’illumination, des emportements austères mêlés à des élégances profanes, longs manteaux tramants, scapulaires d’écarlate, disciplines presque sanglantes au milieu des parfums : tout le faux enfin de l’imagination mystique qui se mettait à délirer. Au dedans, au dehors, l’engouement allait son train : la

  1. Mémoires pour servir, etc., tome I, p.427 et 337. — Ce M. Zamet me fait l’effet d’un cardinal de Rohan anticipé, de celui que nous avons vu archevêque de Besançon, pieux et coquet, sincère et fastueux, officiant avec pompe et ferveur sous ses dentelles.