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PORT-ROYAL.

discorde s’en mêla. Les trois prélats supérieurs cessèrent vite de s’entendre. Le petit Écrit du Chapelet secret, dont s’était rendue coupable en toute simplicité la mère Agnès, devint l’occasion d’une très grande et bruyante querelle, qui eut du moins pour bon effet de rompre cette fausse voie et d’installer en définitive M. de Saint-Cyran.

Ce Chapelet secret était une méditation en seize points que la mère Agnès avait imaginés en l’honneur des seize siècles écoulés depuis l’institution du Saint-Sacrement. Chaque point formait un attribut mystique : Sainteté, Vérité, Suffisance, Satiété, Règne, Possession, Illimitation, etc., etc. ; à chaque article, elle cherchait à approfondir l’une des vertus de Jésus-Christ dans le Sacrement. C’était, à vrai dire, aussi inintelligible qu’Écrit de ce genre peut l’être ; mais la subtilité et la ferveur de l’âme pieuse l’éclaircissaient et s’y complaisaient. Il arriva qu’une copie de ce petit Écrit destiné à elle seule, et composé déjà depuis plusieurs années, tomba aux mains de l’archevêque de Sens dans un moment où il voulait faire obstacle aux idées de M. Zamet : ce dernier avait approuvé le Chapelet ; M. de Sens, au contraire, le jugea très propre à provoquer la condamnation parce qu’il y avait d’outré, et le donna à des docteurs de Sorbonne qui le censurèrent (1633) ; il l’envoya de plus à Rome, où, après examen prudent et sans précisément le condamner, on le supprima. À Paris, on écrivait pour et contre avec une singulière vivacité : la Cour s’en mêla, et, le vent de la faveur tournant, les pauvres religieuses du Saint-Sacrement allaient passer pour visionnaires, quelques-uns disaient même déjà pour sorcières. Tout cela, en style janséniste, s’appelle la Tempête du Chapelet secret.

C’est alors que M. de Saint-Cyran, qu’on a vu d’un goût un peu équivoque et assez ami des subtilités de ce