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PORT-ROYAL.

lettres sont adressées à la princesse, ou, à propos d’elle, à M. d’Andilly[1], n’exprimait qu’un extrême et affectueux désir et l'espérance en Dieu seul, sans aucun mélange d’humaine confiance. M. de Saint-Cyran n’en eut pas. Il venait d’être arrêté quand cette conversion s’essayait ; on lui fit tenir à Vincennes la requête et l’examen de conscience de la princesse. Dès la première lettre qu’on a de celles du Donjon, et qu’il écrivait à la mère Angélique, il répondit :

«Ma révérende Mère,

Il n’y a point de médecin qui me puisse prescrire de loin et sans me voir souvent ce qu’il faut que je fasse pour conserver ma santé en l’état où je suis : comment voulez-vous donc qu’étant éloigné je marque à cette Dame ce qu’elle doit faire pour recouvrer la santé de son âme, n’ayant l’honneur de la connoître que pour une personne généreuse, et qui, étant de grande naissance, et ayant de grands biens, a de grands empêchements, selon l’Évangile, à une parfaite conversion ? L’expérience de tant d’années m’a pu donner quelque connoissance de l’état des âmes et de ce qu’il est besoin de faire pour les ramener à Dieu après un long égarement ; mais ceux même qui ont beaucoup plus de lumière que moi voudroient les voir et les considérer auparavant : outre que vous savez combien je suis éloigné de conduire de telles personnes.

Ce que je vous puis dire, c’est que tout ce qu’elle déclare de sa disposition présente, qui vient sans doute de la Grâce de Dieu, est dans son âme comme une étincelle de feu que l’on allume sur un pavé glacé, où les vents soufflent de toutes parts.» (Quelle effrayante et parfaite image ! — Et plus loin, après un long détail de conseils appropriés :) «Je vous prie surtout de l’avertir qu’elle ne recherche pas trop, dans ces commencements, de longs discours, et non nécessaires, qu’on lui pourroit faire de Dieu.… Il n’y a rien qui abuse

  1. Au tome premier, p. 155 et suiv. des Lettres de la mère Angélique, 3 vol. in-12, Utrecht, 1742.